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ironique de ses élans. C’est bien beau, l’idéal ; mais, si ce n’est rien, à quoi bon soupirer après le néant ? S’il était donné à la philosophie de ramener toute la vérité des religions à cette aspiration trompeuse vers ce qui n’est pas le sentiment religieux se détournerait de son objet illusoire, et, comme il ne peut mourir, il se reporterait sur le Dieu principe et fondement de l’univers, dont il ne saurait rien, si ce n’est qu’il est, qu’il peut, que probablement il veut, et nous verrions restaurer les autels du Dieu inconnu.

Le sentiment religieux réclame donc impérieusement la réunion de l’idée de réalité suprême, cause et soutien de toutes les autres, et de l’idée de perfection spirituelle sur un seul et même être conscient, qui est Dieu. Ment-il ? Là est toute la question, et pour nous il ne peut mentir, bien qu’il puisse se tromper à chaque instant quant à l’objet déterminé auquel il s’attache. La nature ne peut pas mentir. Qui dit instinct, tendance spontanée, effort naturel de l’être, dit aussi objet réel, but existant, effort légitime. Tant pis pour les métaphysiques, si elles ne savent pas se plier à cette exigence de l’être humain. Le sentiment religieux les brave, car il se sent bien plus fort qu’elles. D’ailleurs il aurait le droit d’ajouter qu’ainsi seulement la notion de Dieu embrasse et dépasse l’universalité des choses, les précédant comme principe, les pénétrant comme puissance active, les dominant comme idéal souverainement aimable. Alors on peut dire que le monde vient de Dieu, est en Dieu, monte à Dieu. Alors aussi l’immense développement religieux de l’humanité a un sens, le sentiment religieux une raison d’être. Autrement c’est à devenir fou quand on regarde l’histoire du monde. Quelle paradoxale constitution de l’univers que ce déploiement d’un principe impersonnel, inconscient, imparfait, et qui, arrivé après des milliards d’évolutions à l’esprit humain, le crée de telle sorte que cet esprit voit luire dans son intérieur le mirage décevant d’une perfection qui vient on ne sait d’où, car le principe lui-même ne la possède pas !

Est-ce à dire que nous fermions les yeux devant les difficultés que la raison philosophique rencontre quand elle cherche à réunir d’une manière de tous points harmonieuse ce que la scolastique a distingué sous le nom d’attributs métaphysiques et d’attributs moraux de la Divinité ? Nullement. Si c’était ici le lieu de telles expositions, peut-être réussirions-nous à montrer qu’en dégageant autant que possible les attributs moraux, la justice, la bonté, la sainteté, de tout anthropomorphisme, c’est-à-dire en les élevant le plus possible à la perfection, qu’en comprenant le rapport de l’homme avec Dieu d’une manière spiritualiste, courageuse, vraiment religieuse, bien des difficultés dues aux notions vulgaires disparaîtraient du champ de la discussion. Telle est ordinairement la méthode à suivre dans