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divine dans ses rapports avec la liberté morale, il distingue la prévision des faits généraux et celle des faits particuliers, la première devant être affirmée et la seconde niée en Dieu. Cette manière de résoudre la question ne saurait nous satisfaire, car elle impose à la connaissance divine une limite fort arbitraire. De toutes les solutions mises en avant, la meilleure est encore celle qui pose en fait qu’en Dieu il ne peut être question de prévision au futur, que l’Être éternel voit toutes choses du sein de l’éternité, par conséquent toujours au présent, et qu’ainsi la vision divine des actes humains ne les rend pas plus fatals que la vision de l’homme témoin d’un fait se passant sous ses yeux ; mais, comme nous ne pouvons nous faire aucune idée de ce que peut être ce présent éternel, autant vaut avouer notre ignorance. Eh bien ! M. Pfleiderer ne sait pas assez se résigner à ignorer. Au début des sciences, il est vrai, ce genre de résignation est un défaut fort grave ; à la fin, il devient une vertu. Sur le terrain qu’il avait adopté, elle lui était plus facile qu’à un autre. Si l’objet de la religion est infini et parfait, — et il doit l’être, ou bien le sentiment religieux est menteur, — il faut se dire d’avance que, quelque habileté dialectique dont on fasse preuve, on se trouvera tôt ou tard en face de l’incompréhensible, bientôt de l’inconciliable. Si notre esprit tend à l’infini, s’il le cherche, s’il le conçoit, s’il l’aime, il n’est pas lui-même infini, il ne l’est pas du moins en acte, dans sa réalité présente, et par conséquent l’intelligence ne peut saisir la réalité divine que d’une manière fragmentaire. Finitum non est capax infiniti, disaient avec beaucoup de justesse les vieux théologiens réformés, et si je connaissais une théodicée qui me parût complète, évidente, vraie sur tous les points, ne laissant plus rien à désirer, je n’aurais pas de repos que je n’eusse trouvé le défaut de la cuirasse ; cette perfection même serait d’avance un terrible argument contre elle.

Il n’y en a pas moins beaucoup à gagner à la lecture du livre de M. Pfleiderer pour une saine appréciation des questions religieuses au point de vue de la raison moderne. Que les amis de la libre pensée ne prennent point ombrage du caractère affirmatif de sa religion philosophique. Ses idées sur l’origine de l’homme, la révélation, le miracle, sont de nature à leur donner ample satisfaction. Ce qu’ils devront reconnaître aussi, c’est la perspicacité avec laquelle le théologien allemand a démêlé la vraie signification du sentiment religieux. Ce n’est point du tout un sentiment de pur égoïsme, comme le veut Feuerbach, pour qui Dieu n’est que « l’optatif du cœur humain transformé en présent. » Ce n’est pas non plus un sentiment de pure dépendance, comme l’a soutenu Schleiermacher. L’esprit humain, dans le sentiment religieux, affirme sans