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vérité aussi capitale et aussi féconde, et pour en faire sortir toute une doctrine appelée, selon nous, à vaincre et à remplacer définitivement le matérialisme. Il nous suffit, en montrant l’impossibilité scientifique de l’hypothèse matérialiste, d’avoir supprimé le grand obstacle à l’explication des phénomènes psychiques que nous atteste la conscience. Non, le libre arbitre n’est point un mystère pour le savant ; il n’est pas plus inintelligible pour la physiologie qu’il n’est contradictoire à l’expérience psychologique, telle que l’entendent MM. Stuart Mill et Littré. Tout n’est pas composition d’atomes ou résultante de forces dans l’organisation universelle. Il y a de la spontanéité même dans la nature, et, s’il y en a là, comment ne la point reconnaître dans l’homme, ce type supérieur de la vie organique ? En quoi donc le sentiment d’une activité volontaire vraiment libre, d’une cause agissant de soi et par soi sous l’influence des impressions naturelles ou des idées de l’intelligence, serait-il contradictoire aux expériences de la science positive ? En bonne logique, ce sentiment ne contredit qu’une chose, l’explication matérialiste de certains physiologistes et de certains positivistes. Pour nous, nous pensons avec Aristote, avec Leibniz, avec Maine de Biran, avec M. Ravaisson, que, dans aucune de ses parties, le monde n’est entièrement livré à la fatalité mécanique, que, sous l’action des lois mécaniques, physiques et chimiques, tout être, tout atome obéit à cette idée directrice dont M. Claude Bernard ne parle qu’à propos de la nature organique, que tout y est force, non pas volontaire et libre, mais spontanée, c’est-à-dire tendant d’elle-même vers une fin, cause réelle de tous les mouvemens dont la mécanique, la physique, la chimie, ne font que déterminer les lois. Nous pensons qu’au-dessus des conditions et des lois proprement dites Il existe une spéculation qui a pour objet de remonter aux vraies causes, aux forces réelles qui meuvent, animent, dirigent cette grande machine de l’univers. En tout cas, ce que nous savons de science expérimentale et certaine, c’est que tout être vivant, ayant sa fin en lui-même, est cause des mouvemens qui se rapportent à lui, que l’animal est cause spontanée, que l’homme est cause libre. On peut donc conclure à la liberté, à la personnalité, à l’autonomie de l’être humain, non pas seulement au nom de la loi morale, comme Kant le veut, mais au nom de la science positive elle-même. L’antithèse de la science et de la conscience, qui serait si fatale à la moralité humaine, si elle était réelle, n’est heureusement qu’apparente et destinée à disparaître devant la lumière d’une science plus fidèle à l’expérience que celle qui s’inspire des hypothèses matérialistes.


E. VACHEROT.