Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/904

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faite. La grève avait coûté en salaires perdus 120,000 liv. sterling (3 millions de francs) ; d’autre part, en fermant leurs portes, les patrons avaient causé une déperdition de main-d’œuvre qui pouvait s’évaluer à 150,000 livres sterling (3,750,000 fr.) pour le comté de Stafford et 50,000 livres sterling (1,250,000 fr.) pour le nord de l’Angleterre, total 8 millions de francs, sans compter les sommes puisées dans les caisses des associations. A reprendre une à une les autres industries, on retrouverait les mêmes déclarations de guerre aboutissant aux mêmes capitulations, les mêmes ruines au bout des mêmes équipées. Dans les districts des charbonnages, si les pertes d’argent sont moindres, la part des violences est plus grande, et à des privations cruelles se joint parfois le sang versé. Chez les tailleurs, chez les tisserands, chez les fileurs, mêmes sommes enlevées à l’épargne, sans compter les détestables mœurs que ces habitudes d’oisiveté encouragent.

Voilà, sans forcer le tableau, le bilan habituel des grèves, et M. le comte de Paris n’en a dissimulé aucun détail. Seulement il croit avec quelques juges très compétens que cette période calamiteuse appartient au passé, et que l’avenir prépare aux ouvriers des chances meilleures. Cette confiance sied à la jeunesse, et il n’est d’ailleurs pas permis au noble exilé de douter de son temps et des générations qui entrent en scène. Il augure donc bien de la marche des choses et fournit des preuves à l’appui. Son premier motif d’espoir est dans l’esprit de conduite des unions actuelles, qui de plus en plus se déclarent pour les moyens de conciliation, et n’usent des grèves que lorsque tout autre recours leur échappe. Leur tâche aujourd’hui est de les adoucir, d’en diminuer la durée, d’en écarter les incidens fâcheux, les violences inutiles ; leur honneur, et presque toutes le déclarent bien haut, sera de les faire tomber en désuétude. Déjà un apaisement s’est fait dans les fermens d’animosité que contenait autrefois le régime du travail ; il y règne plus de calcul et aussi plus de justice. On n’y jette plus au vent les millions dans des luttes insensées avec revanches sur revanches : jeux d’enfans quand ce n’étaient pas des excès de gens en démence. Des arrangemens de premier jet et avant tout acte offensif, naguère très rares, sont devenus fréquens ; au lieu de frapper en aveugles, on s’abouche, on transige, on compose. Il n’est point de combinaison que l’on n’ait essayée comme base d’un partage équitable de profits, non pas entre le capital et le travail, termes impropres s’il en fut, mais entre la conception d’une œuvre, aidée d’une mise de fonds, et l’exécution manuelle. Dans quelques industries, les forges par exemple, qui exigent un certain degré de précision, on était arrivé, depuis plus de vingt ans, à l’emploi de formules