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matérialiste pourrait répondre à propos de l’âme comme Laplace à propos de Dieu : « Je n’ai pas besoin de cette hypothèse, la loi de la gravitation universelle suffit à tout. »

Mais voici où l’expérience scientifique elle-même arrête le matérialisme. Il est bien vrai que tout dans la nature se forme, s’organise, se développe, se conserve par des compositions, des combinaisons ou des assimilations d’élémens soumises à des lois connues ; mais, si ces lois expliquent comment les élémens se composent, se combinent, s’assimilent, elles n’expliquent point pourquoi ces élémens obéissent dans ces diverses opérations à une direction vers une fin déterminée. Que ce mouvement des principes élémentaires s’accomplisse sans conscience et sans volonté, cela ne fait pas le moindre doute. Toujours est-il qu’il tend à une fin, laquelle n’est autre que la vie, l’être vivant. C’est donc en cet être qu’il faut chercher la vraie cause de tous ces mouvemens. « S’il fallait définir la vie d’un seul mot, je dirais : La vie, c’est la création… Ce qui caractérise la machine vivante, ce n’est pas la nature de ses propriétés physicochimiques, si complexes qu’elles soient, c’est la création de cette machine qui se développe sous nos yeux dans les conditions qui lui sont propres et d’après une idée définie qui exprime la nature de l’être vivant et l’essence même de la vie[1]. » Qui a dit cela ? Un physiologiste qui ne se pique pas de métaphysique. Voilà donc la science elle-même qui nous apprend que l’organisation est non une simple composition, mais une véritable création, que le créateur est l’être vivant, que le principe de la vie est une chose qui n’appartient ni à la chimie ni à la physique, et que cette chose, c’est l’idée directrice de l’évolution vitale, dont la composition élémentaire n’est que la condition. Déjà l’école des animistes avait eu l’intuition de cette vérité. C’est la pensée d’Aristote, lequel fait de l’âme la cause finale du corps, c’est la doctrine de Stahl, qui enseigne que toute âme crée son corps ; mais il fallait l’autorité de la méthode expérimentale pour en faire le principe d’une science positive. Voilà donc le problème du rapport de la vie et de l’organisation résolu de manière à accorder l’expérience physico-chimique avec l’expérience physiologique. S’il est démontré que l’organisation est la condition de la vie, il ne l’est pas moins que la vie, ou plutôt l’être vivant, est la cause de l’organisation, cause finale et créatrice tout ensemble. Ainsi se trouvent réconciliées dans une science supérieure les deux écoles, le vitalisme et l’organicisme, qui ont tant occupé le monde savant de leurs débats.

Le temps nous manque pour développer les conséquences d’une

  1. Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, par M. Claude Bernard, p. 101.