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nuisent ; pour peu que la gageure se prolonge, ils auront bientôt donné le coup de grâce à des industries fragiles qui ne-vivent pour une bonne part que sous le bénéfice de leur modération.


IV

On a vu, dans ce qui vient de se passer à Genève et à Bâle, la main des unions de métiers anglaises (trade’s unions) ; elle s’y montre partout. Les journaux qui leur servent d’organes n’ont pas fait mystère de cette complicité. Terribles machines de guerre que ces unions, dont il est essentiel de bien connaître les menées ! Ici, le volume de M. le comte de Paris devient pour le détail des faits un guide excellent. On a rarement réuni en moins de pages plus de vues neuves et de notions sûres dans une forme mieux appropriée. Pour en accroître l’intérêt, l’auteur n’a pas reculé devant le dépouillement des dix tomes in-folio d’interrogatoires suivis de réponses qu’a publiés la commission royale chargée de juger les crimes de Sheffield, et qui a mis en lumière les conditions d’existence et les sinistres secrets de ces ligues d’ouvriers. On les voit naître, ces ligues, au début du siècle, au milieu des troubles de Nottingham, qui durent de 1811 à 1817, et surtout à la suite de l’acte de 1824 qui abolit toutes les lois contraires aux coalitions. Libres alors, elles se constituent d’une manière régulière sous la main de quelques coryphées, et relèvent en politique tantôt du parti radical avec Hunt et le pamphlétaire Cobbett, tantôt des factions chartistes avec Feargus O’Connor. Les ouvriers appartiennent alors à l’agitation des rues et aux grèves désespérées. Des processions de délégués déposent sur le bureau du parlement des pétitions couvertes de 3, de 5 millions de signatures, pétitions si volumineuses qu’il faut les couper par fragmens pour qu’elles puissent entrer par les portes de la chambre des communes. C’est aussi le temps des violences à main armée ; quelques manufactures sont prises d’assaut, d’autres incendiées, Birmingham est mis à sac ; dans presque toutes les villes du comté de Lancastre, les soldats bivouaquent l’arme au pied, et, pressés trop vivement, chargent la foule. Ces tristes scènes ont presque toujours pour cause la disette et le haut prix du pain. Dès que la liberté des céréales est votée, une détente s’opère dans les esprits ; peu à peu, au grand désespoir des radicaux, la politique se retire des calculs de l’ouvrier, ce qui faisait dire au vieil Hunt devant des bancs à peu près dégarnis : « Mais vous êtes donc tous devenus des tories ? Vous n’avez plus souci que de votre ventre ! » En effet, l’idée fixe a tourné ; avec les franchises des tarifs, la vie est plus facile, et le goût du bien-être est arrivé ; il ne