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dénoncèrent le fait dans un journal à cire comme une violation de la foi jurée, et prirent à partie le conseil d’état tout entier comme complice d’un mensonge. Rien de plus curieux que cette pièce, véritable exposé de doctrines. C’est du pur communisme, un appel à la dictature en matière de règlement de travail. Feignant de croire que la responsabilité du conseil d’état était engagée, le comité avait invité ses adhérens à descendre sur la place publique pour le rappeler à ses devoirs. Le pacte avait en lieu en présence d’un de ses membres, donc le corps entier en était devenu garant, et il n’y avait plus qu’à le contraindre par un siège en règle à réintégrer les maçons et les tailleurs de pierre dans la jouissance littérale de leurs tarifs. Plus d’interprétation abusive sous peine de châtiment, et ce châtiment, on n’hésitait pas à le nommer. « Il n’y a d’autre issue, disait l’organe du comité d’ouvriers, il n’y a d’autre issue que de faire une bonne et solide révolution, bien profonde, bien radicale, pour mettre à la place de notre république bourgeoise la république de la démocratie socialiste. » Une révolution pour des tarifs de tailleurs de pierre, c’était beaucoup de disproportion entre le moyen et le but, et moins un mot réfléchi qu’un excès de langage.

Ces propos, ces écrits, ces affiches qui se combattaient, n’eussent pas suffi pour troubler la cité, si des actes ne s’y fussent joints. Depuis le 21 mars, date de la dénonciation de la grève, les sections de l’Association internationale étaient en permanence. Se contenant d’abord, elles ne s’animèrent que peu à peu et sous le coup d’échecs successifs. Dans les premiers jours, tout se bornait à des attroupemens et à des promenades avec accompagnement à pleine voix des chants les plus accentués, Genève ne prit presque pas garde à ce spectacle qui lui est familier. Vint ensuite le chapitre des revanches à prendre contre les dissidens. Ces dissidens n’étaient pas sans défense ; ils avaient, pour eux comme auxiliaire, l’opinion, et dans les cas de sévices la loi ; ni l’un ni l’autre de ces appuis ne leur manqua ; les meneur de grève s’y brisèrent, comme on va le voir, en défis impuissans. Contre les ouvriers imprimeurs, ils avaient imaginé un blocus des ateliers : les hommes, à l’entrée et à la sortie, étaient sommés d’obéir aux consignes, et à défaut traités de faux frères et de sarrasins. Dans quelques quartiers et pour des sujets plus particulièrement désignés, ces procédés injurieux dégénéraient en charivaris qui se prolongeaient jusqu’à domicile. Contre les maçons et les tailleurs de pierre, les voies de fait étaient plus directes ; à deux reprises, notamment dans les chantiers des bâtimens académiques, des tentatives avaient eu lieu pour empêcher le travail de vive force. Partout ces violences étaient