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d’une activité spontanée. M. Littré en convient. « En vérité, dit-il, quand on se laisse pénétrer des faits et des raisons, non-seulement on reconnaît que le libre arbitre n’est pas, mais encore il paraît inintelligible et contradictoire. Comment l’aurais-je, si je ne suis pour rien dans ma mise au monde, dans la composition de mes organes, dans l’époque et le lieu de ma naissance ?… Avec le libre arbitre, l’inintelligibilité est partout. Au contraire, tout devient cohérent et sans contradiction avec l’action des motifs, le conflit des motifs, et la victoire du plus fort motif[1]. » On a donc beau être positiviste et vouloir fuir toute spéculation métaphysique, on y est ramené par une nécessité de la pensée et même de la science. Les vieilles écoles, les vieilles doctrines métaphysiques, peuvent être emportées par le courant de la science moderne, la spéculation métaphysique peut changer de méthode, le matérialisme et le spiritualisme des temps passés peuvent disparaître définitivement de la scène philosophique pour faire place à des idées plus complètes, à des théories plus positives, le problème métaphysique qui les a suscités restera, non-seulement dans le domaine de l’imagination et du rêve, mais encore dans le domaine de la philosophie la plus sévère, quoi qu’en dise l’école critique de Kant et l’école positiviste de Comte.

Quel est ce problème ? Dans l’être humain, comme dans tous les êtres vivans, il y a lieu de distinguer la vie et l’organisation. Quelle est la cause et quel est l’effet ? Est-ce l’organisation qui est le principe de la vie ? est-ce la vie qui est le principe de l’organisation ? Si c’est l’organisation, le matérialisme a raison d’affirmer qu’il n’y a pas place dans l’être humain pour l’autonomie volontaire, et que le sentiment de la liberté n’est, ne peut être qu’une illusion de la conscience ; mais ici le matérialisme a-t-il le droit de parler au nom de la science ? Ce qui fait la popularité de cette doctrine, c’est la simplicité et la clarté des explications qu’elle fournit. Confondant toujours et partout la condition avec la cause des phénomènes, il explique tout être, inorganique ou organique, par la composition des molécules et par la résultante des forces. Ces principes élémentaires, s’agrégeant tantôt par juxtaposition, tantôt par combinaison, tantôt par intussusception, forment des composés de toute sorte dont les propriétés, toutes différentes de leurs élémens, constituent les êtres des divers règnes de la nature. Tout cela se fait en vertu de lois physiques et chimiques que la science moderne est en train de réduire à des lois purement mécaniques. Ainsi se passent les choses dans l’organisme de l’être vivant, de l’homme en particulier, comme dans le système du monde, si bien que le physiologiste

  1. Revue de philosophie positive, p. 252-53.