Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/883

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les trois mois à la caisse d’épargne. Une commission de surveillance choisie par les ouvriers devait tenir la main à l’observation de ces accords et exercer sur les parties engagées une sorte de police qui en assurât les effets, notamment ceux-ci : envers les entrepreneurs, la suspension absolue du travail les dimanches et les fêtes, l’interdiction de l’entrée des ateliers aux enfans âgés de moins de quatorze ans, l’égalité des salaires entre la femme et l’homme pour la même nature de travaux, le repos avec salaire réduit pour la femme six semaines avant et après les couches ; envers les ouvriers, la répression des rixes, passibles d’une amende de 2 francs et du double à la récidive, et des mesures disciplinaires contre les faits d’inconduite notoire, punis par l’exclusion après deux admonitions successives. Un article impératif ajoutait qu’il n’y aurait plus d’ouvriers à patrons, de réclamations isolées ni de transactions individuelles ; la commission de surveillance aurait désormais seule à connaître de ces cas et en jugerait l’opportunité : c’était le sceau de l’Association internationale apposé à ce projet de contrat.

Au fond, il faut le dire, la plupart de ces conditions n’avaient rien d’exorbitant ; quelques-unes, comme les ménagemens pour les femmes enceintes et la limite d’âge pour l’emploi des enfans, étaient déjà familières aux ateliers de Mulhouse, et les fabricans de Bâle y auraient probablement accédé. L’obstacle provenait de la forme plutôt que du fond. Les prétentions émises, les concessions à faire, ne touchaient les ouvriers qu’indirectement ; leur attitude était plutôt passive qu’active. Il s’agissait de traiter moins avec eux qu’avec une puissance occulte pour qui cette première expérience n’était qu’une entrée de jeu, et dont les engrenages broieraient sans pitié les industries qui s’y seraient une fois engagées. Bâle n’ignorait rien des origines et des plans d’action de cette croisade des salaires qui, de Londres et de Paris, avait gagné la Suisse romande, où par deux fois elle avait laissé les traces de son passage ; une nouvelle étape la portait vers les cantons allemands, au cœur du travail bien plus exposé des étoffes et des métaux. Quelle conduite tenir ? Il n’y eut qu’un avis : résister et user de vigueur. Pour le moment, il n’y avait point à distinguer entre des demandes qui ressemblaient à des injonctions ; on verrait plus tard ce ; qu’elles pouvaient avoir d’admissible. La détermination prise, l’effet en fut prompt ; dès le lendemain, les ouvriers surent à quoi s’en tenir.

On était au 9 novembre, dernier jour de la foire d’automne ; l’usage accordait à cette occasion quelque tolérance pour le travail ; les uns chômaient, les autres se remettaient à leur tâche. Un des gros fabricans de rubans résolut de rompre les attroupemens qui