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marchés de vente pour les produits, ne trouvant dans la confédération qu’une clientèle insignifiante, les chefs des fabriques bâloises sont obligés de porter au dehors, en pleine concurrence, le gros de leurs opérations, et par suite à regarder de près à tous les élémens dont se compose le coût des objets manufacturés.

Le bon marché, voilà le nerf de l’industrie du ruban et de toutes les industries suisses qui ne tiennent pas au sol ; elles ne vivent en réalité que grâce au bas prix de la main-d’œuvre et à l’emploi des meilleurs outils. Que l’une de ces conditions disparaisse, un germe de dépérissement s’y introduira. Comment lutter alors contre la France et l’Angleterre, pays mieux situés et armés l’un de la supériorité de son goût, l’autre de la puissance de son capital ? Jusqu’ici, l’ouvrier suisse avait envisagé la question ainsi ; formé à la mâle école de la liberté, il avait l’exacte conscience de l’œuvre à laquelle il concourt. Il comprenait qu’avec le monde entier pour concurrent il faut calculer strictement, viser au plus juste, contenir des prétentions qui nuiraient à la destinée commune. En Suisse, la modicité des salaires avait d’ailleurs des compensations. Sur aucun point de l’Europe l’impôt n’est plus léger ; tandis que dans les grands états il s’élève en moyenne à 50 et 60 fr. par tête, il descend ici à 4 et 5 fr. dans les petits cantons, et n’excède pas 12 fr. pour les cantons qui, avec plus d’aisance, ont plus de besoins. Le dernier mot de ce régime n’est pas de forcer le prix des consommations au moyen de taxes ingénieuses, ni d’avoir l’œil fixé sur les fortunes particulières pour savoir quel supplément de rançon le fisc pourra leur infliger. On y jouit assez paisiblement de ce qu’on a ; on y paie les choses à peu près ce qu’elles valent.

Dans un pays ainsi gouverné, il est évident que le travail manuel s’exerce à d’autres conditions que dans ceux où les charges de l’impôt se multiplient sous toutes les formes. Là où les nécessités de la vie sont satisfaites à moins de frais, le salaire peut être réduit sans que le bien-être de l’ouvrier en soit affecté. La balance se rétablit par la force des choses, et comme les industries suisses sont pour la plupart des industries rurales, c’est la terre qui, dans les momens de crise, emploie et solde les bras inoccupés. On a remarqué qu’une sorte de symétrie règne dans ces alternatives. L’industrie se ranime quand les cultures font défaut ; vient-elle à languir, le sol se couvre de largesses inaccoutumées. L’aspect des campagnes, soignées comme un jardin, en dit plus d’ailleurs qu’aucun autre témoignage. Point de mendicité avouée ou honteuse ; la coutume et la loi en éloignent le spectacle ; les misères, quand il y en a, sont secourues sur le fonds commun dans des formes et avec des ménagemens qui ne blessent pas la dignité de