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les psychologues eux-mêmes, un débat sur l’observation psychologique directe et indirecte qui n’est point encore terminé. Les uns, Maine de Biran et Jouffroy en tête, ont soutenu la possibilité de la première, la regardant comme la seule méthode vraiment psychologique, tandis que les autres n’ont jamais voulu entendre parler que de la seconde, dont les procédés leur paraissaient les seuls conformes à la méthode expérimentale de leur maître, Bacon. Dans ce débat, où nous prenons parti pour Maine de Biran et Jouffroy, il se peut que ceux-ci aient trop dédaigné la dernière méthode, et qu’ils aient exagéré la portée de l’observation intime en lui demandant toute la science de l’homme moral ; mais nous maintenons, contre toutes les objections des physiologistes et des positivistes, que le moi se voit dans ses penchans, dans ses instincts, dans ses actes volontaires et libres, dans le fond même de son être. En ce sens, nous n’hésitons pas à dire, après Jouffroy et Maine de Biran, que l’âme se regarde et se contemple directement. C’est pour cela que l’on peut affirmer l’unité, l’identité, la liberté, la personnalité de notre être aussi sûrement que l’on en affirme la sensibilité, l’activité, l’intelligence. Avec le sens intime, tout est clair, simple, certain, dans la vie psychique ; sans lui, tout est obscurité et mystère. La conscience ne suffit point sans doute à faire la psychologie à elle toute seule ; mais elle seule peut saisir ces caractères, ces attributs intimes de la nature humaine que nulle expérience, même aidée de l’induction, ne peut atteindre. « O psychologie, ô morale, s’écriait Maine de Biran, gardez-vous de la physique, gardez-vous de la physiologie ! » En présence des résultats de la physiologie nouvelle et de la psychologie expérimentale proprement dite, telle que la font l’histoire et la statistique, les psychologues de l’école de Biran n’ont pas le droit d’être aussi exclusifs que le maître ; mais il n’était peut-être pas hors de propos de rappeler la science, toute science morale, à la conscience, à laquelle seule nous devons la notion de notre personnalité, de notre liberté, de notre responsabilité, de notre moralité, de tout ce qui constitue notre être véritable et le distingue des êtres de la nature. Pour faire la science de l’homme, il faut pratiquer tous les genres d’observation, l’expérience physiologique, l’expérience historique, l’expérience psychologique ; mais il faut bien savoir aussi que, sans les intimes révélations de la conscience, aucune de ces méthodes ne peut rien nous donner de clair, de sûr, de profond, sur notre nature intime. En un mot, si la conscience n’est pas la science elle-même, elle en est la lumière nécessaire chaque fois qu’il s’agit de voir au fond de l’être humain.

Si nous pouvions reproduire ici les grandes et fortes analyses des