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port après l’orage ; mais la bonace de ce port est impuissante à réparer tout le mal que m’a fait la tourmente, tant les jours précédens m’ont exténué ! À Césarée, je me sentis revivre quelque peu ; j’y bus de l’eau potable, j’y mangeai du pain qui n’avait ni dureté ni moisissure ; je ne fus plus réduit à me baigner dans des fonds de tonneau, et je pus coucher dans un lit. J’aurais bien des choses à dire encore, mais je me contenterai de cela pour ne point trop vous émouvoir… »

Les nouvelles qu’il recueillit à Césarée ne levèrent que très imparfaitement le voile qui recouvrait pour lui les événemens de Constantinople. La visite d’un ami qui venait de la ville impériale lui en apprit davantage ; mais il vit avec chagrin qu’il ne lui apportait de lettres ni de l’évêque Cyriacus, ni de Tigrius, ni même d’Olympias. Les informations que lui donna le voyageur étaient d’une date assez vieille, et se taisaient sur ce qu’il voulait le plus savoir. Que devenaient tant d’amis dont il avait tant à apprendre et qui restaient silencieux ? Il écrivit deux jours après à Olympias pour la réprimander doucement. « Voilà bien des lettres que je vous écris, lui disait-il, sur ce qui me concerne ; mais les vôtres sont fort rares. Cela tiendrait-il à la difficulté de trouver des messagers ? Je vous répondrai non, car le frère du bienheureux évêque Maxime m’est venu voir il y a deux jours, et, quand je lui demandai s’il avait des lettres pour moi, il me dit qu’il n’en avait ni de vous, ni du prêtre Tigrius, ni de l’évêque Cyriacus et des autres prisonniers de Chalcédoine. Si vous savez quelque chose de leur sort, tâchez de me le mander. Quant à moi, je vais bien, et jouis jusqu’à ce jour d’une paix et d’une sérénité parfaites… Ne tourmentez pas mes amis sur ce qu’ils n’ont pu obtenir mon changement de résidence. Ils ont tout fait et ont échoué, je le veux, ils n’ont pu me venir voir, je l’admets ; mais faut-il que j’admette aussi qu’ils n’ont pas pu m’écrire ?… Témoignez ma reconnaissance à mes vénérables dames — les sœurs du très digne évêque Pergamius — pour le zèle infatigable qu’elles déploient à mon intention. Je leur dois en effet les excellentes dispositions dont le gendre de ce seigneur, commandant-militaire de la province, se montre animé envers moi, si bien que malgré ses hautes fonctions il a désiré me visiter ici. »

On aperçoit par cette lettre même que son âme était loin d’être aussi calme qu’il voulait le persuader à sa pieuse et bien-aimée fille. L’ignorance où les circonstances le tenaient de ce qu’il eût voulu savoir l’excitait contre ses amis : il se croyait négligé, oublié, tandis que ces mêmes amis souffraient pour lui ; mais à la première lettre, au premier signe d’affection, les ombrages se dis-