Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/856

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
848
REVUE DES DEUX MONDES.


nulle part un souffle de brise ou un arbre qui leur procurât quelque ombre. C’eût été peu encore, si l’inclémence du ciel n’eût été surpassée par celle des hommes. Tant que Chrysostome chemina dans la seconde Galatie, sur les terres du diocèse de Pessinonte, dont l’évêque Demetrius était son ami, et poursuivait même alors en Italie la défense de sa cause, il eut affaire à des populations incultes et peu hospitalières sans doute, mais qui ne lui montrèrent aucune malveillance. Il n’en fut pas de même dans la Haute-Galatie, sur les terres du diocèse d’Ancyre. Le métropolitain de cette ville, Léontius, avait été un des adversaires les plus acharnés de l’archevêque et l’orateur qui avait soutenu plus particulièrement au dernier concile la validité des canons d’Antioche. Il était vainqueur, mais la victoire ne l’avait point fléchi. En traversant les villages de sa juridiction, Chrysostome courut, à ce qu’il paraît, les plus grands dangers. Que se passa-t-il alors, et de quelles embûches parle l’histoire ? Les populations ameutées par leur évêque se portèrent-elles à des violences, à des menaces de mort contre l’exilé ? Léontius joua-t-il dans ces menaces et dans ces violences un rôle personnel ? Nous l’ignorons. Un mot de Chrysostome peut nous porter à supposer toutefois que le péril avait été grand, et que, « échappé au Galate, » ainsi qu’il l’écrit à Olympias, il put saluer dans la Cappadoce une terre de délivrance.

Là en effet un tout autre spectacle s’offrit à lui. Ce n’étaient plus des bandes de forcenés venant l’assaillir, l’outrage à la bouche ; des populations respectueuses, dévouées, l’attendaient à son passage ou accouraient en foule au-devant lui. Il y avait là des hommes et des femmes de toute condition, des moines, des vierges, des solitaires descendus de leurs montagnes, tous déplorant avec larmes l’état où ils le trouvaient réduit. On les rencontrait par troupes dans les villes, dans les villages, sur les chemins ; ils se disaient entre eux : « Mieux vaudrait que le soleil retirât sa lumière de la terre que de voir cette bouche d’or réduite au silence. » Chrysostome s’efforçait de les consoler ; mais quand il leur disait : Ne pleurez pas ainsi pour moi, leurs larmes s’échappaient avec plus d’abondance encore ; lui-même ne pouvait s’empêcher de pleurer avec eux. Un incident le frappa et le ramena cependant à de sérieuses réflexions. Comme il atteignait Césarée, des personnes s’approchant de sa litière vinrent lui dire à plusieurs reprises : « Le seigneur Pharetrius t’attend ; il parcourt déjà la route pour ne point manquer ta rencontre, car il ne souhaite rien tant que de te voir et de t’embrasser. Il rassemble même les moines de la ville pour célébrer ta bienvenue. » Ces propos ne furent pas sans inquiéter Chrysostome. Pharetrius en effet, métropolitain de Césarée, était ce même évêque dont nous avons parlé lors du concile de Constantinople,