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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


de dures réprimandes, des excès de douleur qui minent sa vie, et la font presque douter de la Providence. Ses deux derniers ouvrages, les plus parfaits peut-être de tous, sont employés à soutenir cette thèse, que la persécution dont il est l’objet est une grâce d’en haut dont ses amis doivent bénir Dieu, comme il se plaît lui-même à le faire. Ces deux traités composés dans le donjon d’un château-fort, il les écrit pour Olympia.

Si Chrysostome ne recevait point de Constantinople les nouvelles qu’il désirait, il en reçut une en revanche dont il se serait volontiers passé. Le rescrit impérial que son escorte et lui attendaient si impatiemment, ils le trouvèrent à Nicée ; l’empereur fixait la résidence de l’exilé à Gueuse, dans la Petite-Arménie, et non à Sébaste, dans l’Arménie supérieure, comme celui-ci l’avait demandé. Ce fut pour lui un grand sujet de chagrin. Cucuse était une petite ville pauvre, sans commerce comme sans ressources pour la vie de l’esprit, perdue au fond d’une vallée sauvage du Taurus, à l’entrecroisement des chaînes de la Cilicie et de la Cappadoce. L’histoire profane ne la nomme point, mais elle avait acquis quelque célébrité dans l’histoire ecclésiastique pour avoir servi de lieu de bannissement et de tombeau à un archevêque de Constantinople, Paul, martyr de la persécution arienne sous le règne de Constance : une pareille gloire avait dû attirer sur elle le choix d’Eudoxie. Ce rapprochement peut-être ou du moins la certitude d’une telle prison fut pour lui comme un coup de foudre, car il avait bien compté que ses amis lui obtiendraient Sébaste ; — ils n’avaient donc rien fait pour lui, eux, si influens, si puissans quand ils voulaient, et qui se targuaient de la fidélité de leur dévoûment ; ils n’avaient pas daigné lui tendre la main pour le sauver ! On le supposait déjà mort, et on le rejetait comme un cadavre ! — Tous ces ombrages l’assaillirent, et il était presque désespéré, moins encore de son propre sort que de l’abandon possible de ceux qu’il aimait. Il dut s’en vouloir à lui-même de ces injustices lorsqu’il connut plus tard la vérité. Les amis qu’il accusait d’indifférence avaient remué ciel et terre pour obtenir de l’empereur la résidence de Sébaste, et l’empereur était près de céder quand l’impératrice intervint et exigea Cucuse. On voit que les ressentimens d’Augusta ne s’adoucissaient point avec la victoire, car une pareille résidence était une aggravation cruelle de l’exil.

Sous l’empire de ces injustes soupçons, que rien n’avait encore dissipés, il écrivait quelques semaines après à une matrone de Constantinople nommée Théodora : « Ne cessez point de faire honte à ceux qui professent quelque affection pour moi de ce que, possédant tant d’amis si riches, si importans, je n’aie pu obtenir ce qui s’accorde aux plus scélérats des hommes, un exil moins dur et moins