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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


esprits, les conséquences d’une mauvaise élection ? » Cette lettre nous révèle, avec les inquiétudes de l’exilé, l’autorité morale qu’exerçait en temps ordinaire la diaconesse Olympias dans le clergé, le peuple, et même près de la cour ; mais la face des choses était changée, et Chrysostome l’ignorait.

L’élection d’Arsace, lorsqu’il l’apprit plus tard, lui causa une indignation violente, et il s’en explique dans une lettre à un de ses fidèles, l’évêque Cyriacus de Synnades. « On m’a rapporté, dit-il, ce qui s’est passé en la personne d’Arsace, ce radoteur imbécile, élevé par l’impératrice sur mon siége épiscopal. J’ai su les cruautés exercées par l’infâme contre nos frères qui n’ont pas voulu communiquer avec lui, et comment plusieurs d’entre eux sont morts en prison pour la défense de ma cause. C’est un loup sous une peau de brebis, un adultère sous un masque d’évêque ; de même en effet qu’on appelle adultère la femme qui, du vivant de son mari, a commerce avec un autre homme, ainsi Arsace est un adultère, non selon la chair, mais selon l’esprit, puisque, moi vivant, il m’a enlevé l’église dont je suis l’époux. » Dans une lettre à Olympias, dont il comprend toute la douleur, il l’exhorte à ne point se laisser abattre par un tel événement, les bonnes causes et les hommes de bien étant soumis à des épreuves dont la providence de Dieu connaît seule le secret. « Barabbas, lui dit-il, n’a-t-il pas été préféré à Jésus ? Et pendant que le peuple juif demandait la délivrance d’un voleur et d’un meurtrier, ne voulait-il pas qu’on crucifiât l’auteur même de son salut ? » Il lui disait encore dans une autre lettre : « Ne vous affligez pas jusqu’à l’abattement du cœur de ce que telle église est assaillie par des vagues furieuses, telle autre ébranlée par une tempête, telle autre encore frappée d’insupportables plaies ; de ce que celle-ci a reçu chez elle un loup au lieu d’un pasteur, celle-là un pirate au lieu d’un pilote, un bourreau au lieu d’un médecin ; oui, pleurez-en, ressentez-en de la douleur, mais une douleur modérée, forte, courageuse, et n’oubliez pas, en face des décrets de Dieu, que rien n’est plus pernicieux à l’âme, plus préjudiciable au salut que le désespoir. »

Au fond, son cœur était ulcéré, et chaque nouvelle d’une défection à sa cause parmi ses fidèles venait le brûler comme un fer chaud. Aussi les exhortait-il de loin et leur tressait-il des couronnes célestes comme la mère des Macchabées à ses enfans. Il avait bien dit à ses diaconesses lors de ses adieux dans le baptistère de Sainte-Sophie : « Acceptez le successeur qu’on me donnera comme si c’était moi-même, afin de ne point diviser l’église ; » mais il avait ajouté : « si ce successeur arrive à mon siége sans brigue et par une sincère élection du peuple. » Il n’avait jamais dit et n’aurait jamais pu dire : « Recevez comme moi-même mon ennemi, mon