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dont tu me trouves coupable et une nouvelle accusation que tu m’intentes, permets-moi de consulter des avocats avant de te répondre, car si, contre la justice et les lois, je suis forcée de communiquer avec ceux avec qui je ne dois point le faire, je saurai du moins jusqu’où le devoir et la conscience m’obligent. » Le préfet, mis à bout, lui assigna un délai pour consulter ses défenseurs et revenir à sa barre. Elle y revint au bout de quelque temps, aussi inflexible que la première fois. Le juge la condamna à une amende considérable et à l’exil. Elle accepta tout plutôt que de communiquer avec Arsace, et son exil fut fixé d’abord à Cyzique, puis à Nicomédie ; mais, comme elle avait des amis puissans à la cour, on ne pressa point son départ.

Pentadia, la seconde des diaconesses dans l’affection de Chrysostome et qui avait reçu ses adieux au baptistère avec Olympias, Salvina et Ampructé, fut amenée, la seconde aussi, devant le tribunal du préfet. La veuve du consul Timasius n’y trouva, comme sa compagne Olympias, qu’insultes brutales et cruauté. Une lettre que lui écrivit plus tard Chrysostome nous donne le tableau résumé de ce qu’elle eut alors à souffrir ; on y voit avec quelle rage la cour et les agens de la cour poursuivaient ces nobles femmes qui joignaient au crime d’un dévoûment invincible à l’archevêque celui d’une fortune et d’un rang qui rejaillissaient sur sa cause en l’ennoblissant. « Réjouissez-vous, lui disait Chrysostome, répondant du fond de son exil aux détails qu’elle lui donnait de sa confession, réjouissez-vous, car vous avez été facilement victorieuse : d’un mot, vous avez confondu l’impudence des bêtes féroces et bâillonné leur bouche pleine de rage. La vérité, pour laquelle vous combattiez et contre laquelle on vous égorgeait, a cette force en effet, qu’un mot lui suffit pour triompher des sycophantes, tandis que le mensonge a beau s’envelopper d’un tissu d’artifices, il tombe et se dissipe au moindre vent, plus faible qu’une toile d’araignée… Quelle embûche n’ont-ils pas essayée contre vous ? quel genre de machines n’ont-ils pas fait mouvoir pour ébranler votre âme si forte, si généreuse, si fidèle à Dieu ? Vous qui ne connaissiez rien au monde que l’église et votre chambre, ils vous ont traînée au forum, du forum au tribunal, du tribunal à la prison. Ils ont aiguisé, les langues de faux témoins, forgé de misérables calomnies, et pour vous effrayer ils ont commis des meurtres sous vos yeux. Vous avez vu couler des torrens de sang, des corps de jeunes gens déchirés par le fer, consumés par le feu, des personnages illustres et en grand nombre couverts de plaies et livrés aux tortures, enfin il n’est pas une pierre qu’on n’ait remuée pour vous épouvanter, et vous amener par la crainte à dire le contraire de ce que vous aviez vu. Vous, semblable à un aigle qui s’élance vers le ciel, vous avez rompu leurs filets pour ga-