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tement du nouvel archevêque, quoique précipité, n’avait point été facile. L’empereur n’osant choisir aucun des évêques ses familiers, ni Acacius, ni Antiochus, ni Sévérien (ceux-ci d’ailleurs n’auraient point osé accepter par crainte de l’indignation publique), tout le monde s’en était remis aux inspirations de l’impératrice, qui fit tomber sa préférence sur un homme non moins ennemi de Chrysostome, mais moins compromis que les autres, parce qu’il s’était montré plus lâche. Cet homme, frère de Nectaire, ancien préfet et plus tard archevêque de Constantinople, appartenait aux rangs élevés de la cour, et occupait dans le clergé métropolitain depuis plusieurs années la place d’archiprêtre. Il se nommait Arsace, et n’avait pas moins de quatre-vingts ans lorsque l’impératrice le désigna ; mais cet âge même laissait l’espérance aux rivaux ambitieux, qui purent ne voir dans Arsace qu’un archevêque de passage. Ce prêtre n’avait guère fait parler de lui jusqu’alors malgré sa haute position dans le monde et un savoir théologique qu’on ne pouvait lui dénier ; mais il était insouciant et mou toutes les fois qu’il ne se sentait pas stimulé par un intérêt pressant. Les critiques disaient malignement de ce successeur de l’abondant et impétueux Chrysostome qu’il avait la faconde d’un poisson, et mettait dans son action oratoire la chaleur d’une grenouille. On citait à son sujet une anecdote qui ne lui faisait pas grand honneur comme prêtre et comme évêque. Lorsque son frère Nectaire, non encore baptisé, était monté de la préfecture de Constantinople au siége épiscopal de cette première métropole de l’Orient par la volonté du grand Théodose, cette élévation subite qui étonnait tout le monde ne fut pas sans exciter un peu de jalousie dans le cœur d’Arsace : lui-même en effet, comme s’il eût aspiré à une fortune pareille, se hâta d’entrer dans les ordres. Nectaire, qui était son aîné, le réprimanda vivement. « Je te devine, lui dit-il avec quelque amertume ; tu convoites l’épouse que Dieu m’a donnée en la personne de cette église, et tu attends ma succession… » Arsace se défendant d’avoir conçu une telle pensée : « Eh bien ! donc, s’écria Nectaire, pars à l’instant pour Tarse, dont je t’assure d’avance l’évêché. » Arsace refusa de partir ; mais la honte le prit : saisissant le livre des Évangiles, il jura dessus, entre les mains de son frère, qu’il n’accepterait jamais l’épiscopat. Ce serment, on le voit, ne tint pas contre les séductions d’Eudoxie. Dans ses rapports avec Chrysostome comme archiprêtre, il se conduisit en ennemi souterrain, dénigrant continuellement son évêque, qu’il dénonça même au concile du Chêne ; mais son manque de foi, si honteux qu’il fût, n’avait pas eu assez d’éclat pour empêcher le choix de la cour. Appelé par l’empereur, élu par un simulacre d’assemblée et ordonné par les évêques de la faction triomphante, il fut intronisé dans la