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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


coupables, je le suis ; s’ils sont les instrumens d’un crime, j’en dois être l’auteur ou le provocateur. Il faut que je sois interrogé, que mes amis et mes ennemis sachent bien si je suis un incendiaire ou non. » L’officier n’avait pouvoir de rien décider là-dessus, en dehors du mandat du juge ; il se borna donc à recevoir une protestation écrite que lui remit l’archevêque. Elle était conçue en ces termes : « quoiqu’en d’autres circonstances vous ayez refusé de m’entendre sur les incriminations portées contre moi, il faut pourtant bien que vous m’entendiez sur le fait de l’incendie de mon église, puisque vous m’accusez d’en être l’auteur. » L’archevêque, on le voit, avait deviné sans peine qu’une si outrageante pensée n’avait pu venir que des évêques et des courtisans ses ennemis. Pendant qu’il écrivait, les fers étaient mis aux pieds et aux mains de ses compagnons, que les cavaliers firent rétrograder vers les prisons de Chalcédoine, d’où ils furent transférés dans celles de Constantinople, et enfin relâchés, à la condition de ne plus reparaître jamais dans la ville impériale.

À leur départ, Chrysostome resta atterré. Il était seul désormais, complètement seul ; plus d’amis pour épancher son cœur, pour le plaindre, pour l’assister dans les défaillances fréquentes de sa santé, car on lui avait refusé d’emmener un domestique pour le servir ; il n’avait plus autour de lui que des soldats grossiers, ses gardiens. Qu’allait-il devenir, par un voyage si pénible, sous les ardeurs de la canicule, avec des infirmités dont la fatigue et le chagrin aggravaient encore le poids ? Dans cette extrémité, Dieu, son unique recours, ne l’abandonna pas. Son escorte, ainsi que je l’ai dit, se composait de prétoriens, hommes simples et rustiques, mais plus pitoyables que ceux dont ils exécutaient les volontés. La scène à laquelle ils venaient d’assister les avait émus, et ils se prirent d’une compassion involontaire pour ce prêtre presque mourant, que le peuple aimait, et dont le nom avait retenti bien des fois à leurs oreilles. En le voyant en proie à tant de souffrances de corps et d’esprit, ils se firent un devoir de l’assister et de faire l’office des serviteurs qui lui manquaient, quoiqu’il s’y refusât et les repoussât doucement. C’étaient eux qui cherchaient à lui procurer dans les stations une nourriture moins mauvaise que la leur, et quelques heures de repos, lorsqu’il quittait sa litière. La chaleur étouffante lui ayant rendu ses maux d’estomac plus douloureux que jamais, il ressentit des accès de fièvre quarte pour lesquels il ne connaissait qu’un remède efficace, les bains ; or son escorte avait pour instruction, à ce qu’il paraît, de ne point s’arrêter dans les villes, seul lieu où il eût pu trouver des thermes publics ; force lui fut donc, quand quelque crise violente approchait, de faire usage de fonds de tonneau en guise de baignoires. Ses gardiens l’aidaient dans tous ces