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Ce n’est pas seulement la physiologie qui entreprend de définir et d’expliquer les phénomènes psychiques sans se soucier des révélations de la conscience ; c’est encore une certaine philosophie dite positive qui, en dépit de ses réserves sur les questions de principes et de causes, incline visiblement vers les explications plus ou moins matérialistes de certains physiologistes. Ni M. Littré ni M. Stuart Mill ne sont de ceux qui nient toute psychologie ; mais ils entendent la méthode psychologique à leur façon. Ils admettent une étude, une analyse, même une science des faits psychiques, mais sans tenir aucun compte des intuitions directes et immédiates du sens intime. Ils procèdent par la méthode de Bacon, par la statistique, la classification, l’induction, afin de découvrir non les causes internes qui engendrent les faits, mais les lois qui les régissent, exactement comme font les physiciens et les naturalistes pour les phénomènes et les êtres de la nature. C’est en appliquant cette méthode à la question du libre arbitre que MM. Littré et Stuart Mill en sont venus à n’y voir qu’une hypothèse contredite par l’expérience. L’expérience, telle qu’ils l’entendent, semble en effet leur donner raison. A prendre l’homme par le dehors, c’est-à-dire par les actes extérieurs qui manifestent sa volonté, il est certain qu’il obéit soit à la force des penchans, soit à l’entraînement des passions, soit à ce que nos positivistes appellent la loi des motifs. C’est à tel point qu’un esprit, un caractère, un tempérament moral quelconque étant donné, on peut toujours prévoir ce qu’un homme fera dans telles ou telles circonstances. Il y a donc là une sorte de nécessité qui gouverne la vie morale et qui n’est pas sans analogie avec cette nécessité qui est la loi universelle du phénomène de l’ordre physique. Tel est l’aspect sous lequel l’observateur doit voir les choses de l’âme humaine au point de vue où il s’est placé : l’acte volontaire lui apparaît comme lié et enchaîné à tel ou tel antécédent, et présente l’apparence extérieure d’un phénomène déterminé comme tous les autres. Qu’est-ce que cela prouve contre le libre arbitre ? Oui, sans doute, tel homme cède habituellement à ses passions ; mais, tout en leur cédant, ne sent-il pas qu’il pourrait leur résister ? Il le sent si bien qu’il se reconnaît coupable de la faute ou du crime qu’il commet. Oui, tel autre au contraire écoute ordinairement la voix de la raison ; mais, en l’écoutant, ne sent-il pas qu’il pourrait ne pas le faire ? Il le sent si bien qu’il ne peut, quelle que soit sa modestie, se soustraire à un sentiment de satisfaction personnelle. C’est ici surtout le cas de dire que comparaison n’est pas raison. On se laisse abuser par une analogie qui ne devrait jamais prévaloir contre la conscience ; on fait des mobiles et des motifs de nos actions des forces qui entraînent, des lois qui