Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des perceptions et des idées qui s’anastomosent, on est tenté de se demander s’ils admettent réellement la distinction des deux ordres de faits et des deux genres d’observation. Cependant la confusion absolue serait quelque chose de si fort qu’on hésite à leur attribuer une thèse aussi étrange. Comment identifier des phénomènes aussi différens par leurs caractères propres et par les organes d’observation qui les constatent ? Comment confondre une impression, une action, un mouvement cérébral, avec un sentiment, une idée, une volition ? On peut à la rigueur, dans la doctrine des physiologistes, soutenir que les uns ne sont que la transformation des autres ; mais on ne peut aller jusqu’à n’y voir que les mêmes faits sous des expressions différentes. Il est trop évident que jamais le physiologiste n’a rencontré sous son scalpel ou sa loupe quelque chose qui ressemble à un sentiment, à une idée, à une volition, dans sa dissection anatomique ou son étude micrographique des mouvemens internes de l’organe cérébral. Alors même qu’il verrait dans les phénomènes psychiques des phénomènes physiologiques transformés, il lui serait impossible de se refuser à reconnaître qu’il y a au moins entre eux cette différence que le moi a conscience des premiers et non des derniers. Cela le conduit nécessairement à reconnaître tout un nouvel ordre de faits et un nouveau mode d’observation. Ce n’est donc point là ce que veulent dire les physiologistes quand ils appliquent aux faits de conscience l’expression de phénomènes cérébraux. Quelle est leur véritable thèse sous les mots fort équivoques de leur vocabulaire ? C’est que l’organe est non-seulement la condition, mais le sujet et la cause des phénomènes psychiques. Ce ne sont pas les phénomènes qu’ils confondent, ce sont les causes, lorsqu’ils parlent indifféremment de faits psychiques ou de faits cérébraux, et qu’ils s’efforcent d’expliquer comment les phénomènes de l’ordre physiologique se transforment en phénomènes de l’ordre psychique. Tout se réduit, selon eux, dans l’être vivant, sentant, pensant, voulant, à des organes et à des fonctions, lesquelles ne sont elles-mêmes que les organes fonctionnant.

Cette thèse est déjà bien assez hardie pour qu’on n’aille point en prêter une autre tout à fait impossible à l’école physiologique dont nous venons de résumer la doctrine. Faire de l’organe le sujet et la cause des phénomènes psychiques, c’est confondre l’organe avec l’être lui-même, et trancher ainsi la question contrairement aux révélations de la conscience et à toutes les habitudes du langage. On a toujours dit que l’animal sent, que l’homme pense ; on n’a jamais dit. que c’est le cerveau de l’un qui sent, le cerveau de l’autre qui pense. Encore moins est-il permis de parler de la cellule sentante ou de la cellule pensante. — Mais si ce n’est l’organe ou la