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mais l’oreille les constate d’une manière plus directe que dans le cas précédent, car la dissonance se trahit immédiatement par le phénomène physique des battemens. Les battemens sont des intermittences d’intensité, des tremblemens ou ronflemens qui se font entendre lorsque deux sons mal combinés se gênent mutuellement dans leurs vibrations ; c’est selon le degré de vivacité de ces intermittences que l’assemblage des deux notes nous fait l’impression d’une dissonance plus ou moins marquée. La consonnance ou affinité harmonique repose donc sur l’absence plus ou moins complète des battemens entre les notes fondamentales et leur cortège de notes concomitantes ; elle est accusée par une sensation actuelle, plus vive et plus précise que celle de l’affinité mélodique. Sauveur semble l’avoir deviné. « On peut croire, écrit-il vers 1700, que ce qui rend les octaves si agréables, c’est qu’on n’y entend jamais de battemens. En suivant cette idée, on trouve que les accords dont on ne peut entendre les battemens sont justement ceux que les musiciens traitent.de consonnances, et que ceux dont les battemens se font sentir, sont les dissonances… Si cette hypothèse est vraie, elle découvrira la véritable source des règles de la composition, inconnue jusqu’à présent à la philosophie. »

Les progrès de l’harmonie ayant fait beaucoup mieux ressortir les affinités sonores par l’emploi des accords, la musique ne tarda point à augmenter la richesse de ses moyens d’expression en utilisant des relations éloignées, celles par exemple sur lesquelles s’appuient les modulations. L’affinité des accords fut bientôt reconnue et étudiée, comme l’avait été celle des sons isolés. Ces derniers sont liés entre eux par les harmoniques dont se compose leur timbre, les accords le sont par les notes qui en forment les élémens. Les relations des accords sont même plus faciles à saisir que celles des sons, parce que le musicien les combine à volonté, tandis que les élémens d’un son isolé ne sont point apparens et ne peuvent être reconnus que par une analyse approfondie. Il est vrai que pour l’auditeur non prévenu la raison de l’impression harmonieuse produite par une série d’accords reste aussi bien cachée que celle du plaisir que leur fait l’enchaînement des notes d’une belle mélodie. Une cadence rompue le surprend, sans qu’il sache toujours pourquoi. La science nous fait connaître les phénomènes physiques sur lesquels reposent ces ressemblances, ces attractions mystérieuses que les musiciens découvrent entre les divers sons ou groupes de sons, elle nous dévoile aussi les particularités de nos organes qui nous permettent d’être affectés par ces phénomènes ; mais elle nous quitte au seuil du sanctuaire de l’art, elle ne nous explique pas comment la musique exprime toutes les dispositions de l’âme dans son langage divin.


R. RADAU.


L. BULOZ.