Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/785

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bancel. En dehors de cela, on ne voit pas bien ce que c’est qu’un irréconciliable dans un corps législatif ; un homme peut l’être dans sa conscience, un député ne l’est pas ; par sa seule présence, il a cessé de l’être. Si les nouveaux élus voulaient aller plus loin et donner un signal de guerre, croit-on sérieusement qu’ils seraient suivis par tous ceux qui les ont élus, et pense-t-on même qu’ils aient été choisis pour cela ? Si, sans aller jusque-là, les députés radicaux prenaient dans la chambre une attitude trop agressive, trop violente, à quoi arriveraient-ils ? — Ils ne réussiraient qu’à fortifier le gouvernement en rejetant vers lui des hommes qui se sont fait honneur de représenter dans la dernière lutte l’indépendance électorale, qui tiennent à représenter dans la chambre l’indépendance parlementaire, mais qui ne sont pas des irréconciliables ; ils s’isoleraient de plus en plus, voilà tout, de sorte qu’on en revient à ceci, que les nouveaux députés de Paris feront probablement une opposition un peu plus vive, un peu plus accentuée et pas beaucoup plus dangereuse que celle de leurs prédécesseurs. En cela, ils agiront patriotiquement, au risque d’être taxés à leur tour de modérés, et ils serviront la liberté mieux que par des violences.

Et le gouvernement de son côté, que peut-il faire ? Lui aussi, il est sous le poids d’une nécessité, il a des engagemens de situation qui le lient. Que certains incidens de la dernière lutte électorale aient porté à la tête des mameluks de la politique officielle, qu’ils aient fait passer dans leur cerveau de vagues rêves de combat, de réaction, c’est bien possible ; il resterait à savoir ce que gagnerait le gouvernement à essayer de remonter un courant irrésistible, à faire d’une émotion passagère une politique. A son tour, il ne réussirait qu’à s’affaiblir en paraissant retrouver une force concentrée ; il n’arriverait qu’à éloigner de lui dans le corps législatif les esprits modérés, indépendans, qui ne prêteraient pas la main aux fauteurs de révolutions, mais qui refuseraient aussi leur concours à une réaction. Il trouverait bientôt dans ce camp l’opposition la plus redoutable pour lui ; il justifierait par un déplorable éclat le pronostic de ceux qui le proclament incompatible avec la liberté. D’ailleurs cette épreuve d’un mouvement électoral au sein d’une liberté un peu plus étendue que par le passé, ces agitations inséparables d’une grande mêlée d’opinions, le gouvernement les avait prévus sans doute ; il s’y était préparé, il savait bien qu’il aurait devant lui des réunions, des journaux, qui allaient prendre, sur lui la revanche d’un long silence. Les élections ont pu l’émouvoir sans l’ébranler, surtout sans lui inspirer de velléités de réaction qui le ramèneraient aux premiers jours de son existence. Ici encore, à la plus simple réflexion, on en vient à conclure que le gouvernement est attaché par nécessité au terrain sur lequel il est placé, que, s’il n’avance pas, il ne peut plus tout au moins reculer, et nous ajouterons que la plus sûre politique pour lui serait non-seulement de ne pas reculer, mais d’avancer, d’amortir, d’annuler les