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plupart des hommes de génie, et vice versa. » Pour le même auteur, l’enthousiasme n’est qu’un éréthisme mental. S’il en est ainsi, ne serait-ce pas une raison de se défier un peu de la méthode physiologique appliquée à l’étude des faits moraux ? Flourens se récrie contre de tels excès de doctrine ; mais lui-même, pour un physiologiste aussi spiritualiste, ne nous donne-t-il pas une singulière définition de la volonté ? « Je fais du mot volonté, écrit-il, le nom collectif, le signe de tous nos désirs. Or nos passions et nos désirs viennent de nos instincts, mus par nos organes. Entre ces deux pouvoirs aveugles (l’imagination et la volonté) est la raison, qui voit et juge… Tant que la raison domine, la liberté subsiste. » M. Littré n’a rien dit de plus fort contre le libre arbitre.


II

Si l’on veut soumettre à la critique la doctrine dont nous venons de parler, il y faut distinguer deux choses bien différentes, les expériences et les conclusions. Les expériences en forment la partie positive, incontestable, fondamentale. Elles constatent des faits que nulle spéculation métaphysique, nulle doctrine morale ne saurait nier. Elles établissent d’une manière irréfragable que tous les actes de la vie psychique, depuis les simples sensations jusqu’aux pensées et aux volitions, c’est-à-dire jusqu’aux actes proprement humains, ont pour condition le jeu des organes. L’homme sent, perçoit, se souvient, imagine, juge, veut par le cerveau proprement dit, comme il éprouve par les nerfs l’impression des objets, comme il se meut par les muscles et dirige ses mouvemens par le cervelet. Que tel spiritualisme, comme celui de Platon ou celui de Descartes, s’en arrange ou non, il n’est plus possible, après de pareilles expériences, de méconnaître que toute faculté psychique a son organe. La métaphysique peut toujours, avec Aristote, concevoir un idéal de la pensée pure et indépendante de tout organisme, en Dieu et chez des êtres supérieurs à l’homme. La religion peut rêver, quoique le christianisme lui-même ne l’ait point fait, une âme qui contemple, qui aime, qui jouisse sans aucune espèce de corps, dans une vie future. C’est un champ qui reste ouvert à la spéculation ou à l’imagination, en dehors des conditions de l’existence actuelle ; mais, si l’on reste dans ces conditions, il n’y a plus maintenant à discuter la question de savoir si l’homme peut penser sans cerveau.

Tel est le résultat net des expériences faites par les physiologistes de l’école de Flourens. Des observations nombreuses sur le développement moral comparé à l’état physique, venant s’ajouter à ces expériences, permettent d’aller plus loin. Non-seulement il