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éclater des symptômes d’une force singulière à travers la confusion du combat. Si en fin de compte le gouvernement sort une fois encore de cette épreuve avec une majorité visible et prépondérante, il n’est pas moins certain d’un autre côté que l’opposition de toutes les nuances est allée en croissant depuis quelques années, qu’elle s’est portée au dernier scrutin avec des contingens plus ardens et plus nombreux. Le goût de l’indépendance et du contrôle a fait d’éclatans progrès. Les passions révolutionnaires elles-mêmes, favorisées par les réunions publiques et par les discussions plus libres de la presse, ont retrouvé un degré d’énergie et de puissance qu’on se plaisait peut-être à se dissimuler. En un mot, tout a marché depuis 1863, si bien que ceux qui n’étaient, il y a six ans, que des élus officiels prêts à toutes les complaisances arrivent certainement aujourd’hui avec un esprit nouveau, l’âme encore émue des luttes qu’ils viennent d’avoir à soutenir ; ceux qui n’étaient que des contradicteurs indépendans seront portés à accentuer plus vivement leurs dissidences, et en tête de la marche apparaît désormais un groupe impétueux qui se proclame lui-même radical, irréconciliable, ennemi sans repos et sans trêve. On s’est déjà livré à tous les dénombremens possibles de cette armée de millions de votans, on a parlé d’un simple écart de 800,000 voix entre la majorité victorieuse et l’ensemble des minorités qui ont pris part à la lutte. La différence est sans doute plus grande qu’on ne le dit, et elle serait certainement plus considérable encore, si on analysait ces minorités, si on démêlait leurs mobiles, surtout si la question se posait nettement entre ceux qui ne veulent le progrès et la liberté que par l’opposition régulière et ceux qui n’attendent rien que de la révolution ; mais enfin ce n’est pas moins une situation toute nouvelle pour le gouvernement, pour le corps législatif et pour le pays, une situation où, par une singularité de plus, ce sont les opinions les plus violentes, les candidatures les plus extrêmes, qui ont eu la plus prompte et la plus étonnante fortune, qui ont semblé vouloir donner le ton au mouvement, au risque de compromettre la cause même des idées libérales.

Les élections de Paris, entre toutes celles qui viennent d’émouvoir la France, sont assurément le plus curieux exemple de ce que peut le suffrage universel en certains momens et dans certaines conditions. Par malheur, il procède trop souvent comme une bourrasque, il se déchaîne en courans irrésistibles, qui se déclarent subitement, au sein desquels toutes les combinaisons mixtes disparaissent. Il arrivera sans doute à s’éclairer et à se régler jusque dans ses passions, à comprendre que les plus sûres conquêtes sont celles qui se font patiemment ; jusqu’ici, il est bien clair que pour lui il n’y a point de milieu, qu’il va droit aux couleurs voyantes, aux partis extrêmes, s’inquiétant peu de ce qui arrivera, comme font toutes les puissances anonymes et irresponsables. C’est ce qu’on vient de voir encore une fois dans ces élections parisiennes, où