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qui cherche obstinément un procédé de décoration impérissable dans la mosaïque à grands carreaux, et qui pourrait avoir gagné sa gageure ; M. Tourny, observateur ingénieux, dessinateur excellent et maître passé dans le maniement si vif et si délicat de l’aquarelle ; enfin M. Bellay, qui interprète avec un goût exquis et une patience admirables tous les maîtres de la fresque, hier Raphaël et Michel-Ange, aujourd’hui Léonard de Vinci.

La concurrence de la photographie n’a pas plus découragé les graveurs et les lithographes que la concurrence des chemins de fer n’a supprimé les chevaux. L’eau-forte est plus brillante que jamais : portraits d’après nature comme les Deux Coquelin de M. Gaucherel, études d’architecture comme cet admirable Hôtel Jacques-Cœur de M. Queyroy, études de gemmes et de joyaux comme les merveilles chalcographiques de M. Jacquemart, interprétations des maîtres morts et vivans par M. Flameng, M. Hédouin, M. Courtry, M. Veyrassat, M. Rajon ; illustration des auteurs nationaux comme les Six comédies de Molière esquissées avec tant d’esprit par M. Hillemacher, l’eau-forte aborde tout et réussit dans tout. Le burin est moins actif, hélas ! Combien d’années M. Henriquel a-t-il dû dépenser sur cette belle reproduction des Disciples d’Emmaûs ! Voici la Source d’Ingres, par Calamatta ; ni le peintre ni le graveur ne la verront exposée.

Le bois fait fureur, il ne fait pas toujours merveille ; les exigences d’une production fébrile condamnent les meilleurs artistes à couper souvent au plus court. Cependant, si l’on comparait les gravures de cette exposition aux premiers numéros du Magasin pittoresque, on verrait quel progrès nous avons réalisé en trente ans.

Les lithographies exécutées par M. Bargue ne sont pas seulement excellentes ; elles contiennent peut-être en germe la régénération de l’art français. Qui n’a vu les modèles de dessin qui empoisonnaient autrefois nos écoles, ces études aux deux crayons qui enseignaient le faux goût, la vulgarité, la platitude et la sottise à la jeunesse deux sexes ? Un éditeur intelligent s’est mis en tête de remplacer ces misérables images par les plus belles copies de l’antique et les meilleurs dessins des maîtres : heureuse innovation, qui a coïncidé par fortune avec le bouleversement de notre école des Beaux-Arts.


EDMOND ABOUT.