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à mon avis, dans son tableau d’une Fête au Caire : le mouvement, l’observation, la couleur, tout est progrès dans cette œuvre forte et condensée. M. Protais se représente lui-même au premier plan de son tableau le Percement d’une route, en uniforme de capitaine A la prochaine exposition, il aura le droit de prendre une épaulette à gros grains, car il vient de monter en grade. Ses deux derniers ouvrages, et surtout celui que je viens de citer, attestent un sentiment plus net de la nature, un art plus consommé dans la composition, un surcroît de variété, de vérité et de vie.

J’omets sans doute injustement plus de cinquante tableaux estimables, mais qu’y faire ? On ne s’entendrait plus ici bas, si les trompes sonnaient l’hallali chaque fois qu’on force un lapin. Mieux vaut sacrifier quelques demi-talens et donner aux hommes nouveaux le relief qu’ils méritent. M. James Bertrand vient de faire un grand pas, il s’est tiré du pair, et tout ce qu’il produira désormais est recommandé par avance à l’attention et à la sévérité de la critique. Dans la Mort de Virginie, la précoce maturité du savoir ne nuit point aux grâces naïves et aux aimables suavités de la jeunesse. Ce beau corps roulé par la vague, mais chaste jusque dans la mort, comme la Sainte Cécile de Maderne, cet ajustement coquet, simple, heureux, demi-français, demi-créole, le petit pied dans son bas à jour, la souplesse des membres que la vie abandonne à peine, tout ce qui se voit et tout ce qui se devine fait de cette Virginie une apparition charmante.

Tambour battant, M. Detaille accourt au pas militaire sous les drapeaux de M. Meissonier. On dit qu’il a vingt ans, ce jeune homme ; où n’arrivera-t-il point, s’il continue ? Il a l’esprit, il a la verve, il sait les secrets de son art comme un maître, il connaît les mouvemens, les mœurs, les grimaces du troupier comme un vieux colonel ; bon paysagiste d’ailleurs et nullement embarrassé de loger ses figures en bon air, sur un terrain solide, à l’ombre de vrais arbres. Son Souvenir du camp de Saint-Maur est le coup d’essai d’un jeune Cid, ni plus ni moins. M. Meissonier, quoiqu’il soit jeune encore et dans toute la verdeur de son talent, a la rare fortune d’assister tout vivant au partage de sa succession. Vous verrez que sa défroque enrichira dix peintres sans qu’il soit lui-même obligé d’aller tout nu dans les rues. Chacune de ses qualités, et Dieu sait s’il en a, suffit à mettre un jeune artiste en vue. J’en pourrais citer vingt qui ont tiré pied ou aile de M. Meissonier, qui d’ailleurs a toujours bon pied et un rude coup d’aile.

A la suite de M. Detaille, — ce qui ne veut pas dire après lui, — voici M. Vibert, M. Zamacoïs, M. Worms, qui, ensemble ou séparément, marchent sur les traces du maître. M. Vibert était peintre