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défauts des artistes d’un temps où la raideur du moyen âge n’était pas encore bien assouplie : voyez les jambes ! voyez la tête ! Groupe honorable malgré tout, et qui fera bonne figure à l’hôtel de ville de Paris, Le Louis XII de M. Jacquemart est destiné à la province ; il doit décorer l’hôtel de ville de Compiègne, et véritablement j’estime qu’il l’ornera.

L’administration des beaux-arts, qui est toute-puissante dans sa sphère, s’est mis en tête de décerner la plupart des statues équestres aux animaliers de renom. En vertu de quel principe ? Sans doute elle croyait que, dans un groupe formé d’un cheval et d’un roi, le plus important, c’est la bête. Cette opinion, au moins contestable, nous a dotés de plusieurs ouvrages saugrenus. Tel souverain qui a fait grand bruit en son temps est devenu, grâce aux choix de l’administration, un chevalier de triste figure. Ni l’empereur régnant, ni le chef de la dynastie, n’ont échappé à ce destin, et Louis XII n’eût pas été plus heureux, j’en ai peur, si M. Jacquemart était un animalier ordinaire, mais il possède la figure humaine aussi bien, sinon mieux, que le cheval, le chien ou le tigre. Dans son groupe en haut-relief, c’est le cavalier qui soutient le cheval, car l’un est vrai, juste, noble, excellent, et l’autre relativement assez faible.

M. Cordier expose le modèle en plâtre d’une fontaine égyptienne qui deviendra fontaine, si l’on y met de l’eau, et égyptienne, si l’on a le tort de l’exécuter en Égypte. Jusque-là je me permettrai de dire que cet informe monument n’a rien d’une fontaine. Une vasque supportée par un groupe confus de femmes, de haillons, de feuillages, de fourrures et de gargoulettes, sans forme arrêtée, sans profil, sans rien qui rappelle le balustre, ne constituera jamais un parti d’architecture. Il y a sur la place Louvois, devant la Bibliothèque, une fontaine de Visconti et de Klagman que M. Cordier ferait bien de méditer un peu.

La Cléopâtre de M. Clésinger, qu’on fait garder à vue par un sergent de ville, pourrait tenter un voleur, j’en conviens, mais un connaisseur, jamais. Voilà donc ce chef-d’œuvre que les journaux vantaient de confiance avant l’ouverture du Salon ? Cette femmelette maigrelette et gringalette, avec ses cheveux jaunes, sa jupe verdâtre et ses yeux noirs qui font trou, cette poupée chargée de bijoux qui badine niaisement avec un lotus en miniature, a la prétention de représenter Cléopâtre ; mais où donc est la grâce de la femme ? Où est la majesté de la reine, où est la séduction dominatrice, le vice irrésistible de celle qui perdit Antoine ? Qu’est devenu le tempérament de M. Clésinger, ce fameux tempérament qui depuis tant d’années lui tient lieu de talent ? Riche décor, pauvre sculpture, et quel beau marbre ils ont gâté !