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conformément au vœu de la majorité des artistes. Un contact permanent a pu s’établir ainsi entre eux et le public, et cette mesure nouvelle a donné aux travaux artistiques une impulsion considérable. » Le demi-million de Français qui s’intéresse aux progrès de l’art sera bien étonné d’apprendre aux sources authentiques que les expositions n’étaient pas annuelles avant 1848. Il serait plus vrai de dire que le petit gouvernement des beaux-arts est aussi capricieux qu’absolu. Il lui a plu un jour d’ôter à nos artistes l’innocente liberté d’exposer leurs œuvres tous les ans ; un autre jour, il a trouvé plaisant de la leur rendre. Encore le droit d’exposer est-il sujet à des restrictions inconnues sous la monarchie constitutionnelle, et qu’un pouvoir un peu libéral n’eût jamais inventées. On se demande en vertu de quel principe un producteur modeste et retenu comme M. le surintendant prétendrait limiter la fécondité des vrais talens ; de quel droit il viendrait dire à des hommes jeunes, ardens, pleins de sève, impatiens de montrer la richesse et la variété de leur génie : Vous exposerez deux ouvrages chaque année, pas un de plus !

Il se peut que les règlemens décrétés proprio motu par la surintendance paraissent tolérables ou même satisfaisans à la majorité des artistes ; j’ai même ouï dire que ce despotisme de seconde main n’avait pas à percer plus de deux ou trois couches pour rencontrer une veine de popularité. Rien n’est plus juste ; il y a de la plèbe en tout, et la plèbe a toujours fait bon ménage avec l’absolutisme. Ces expositions où les maîtres sont limités à deux tableaux comme le dernier de leurs rapins et placés à leur lettre, selon la loi égalitaire de l’alphabet, cette distribution des prix où 70 médailles uniformes et classées par ordre alphabétique nivellent les talens les plus inégaux, cet avancement à l’ancienneté qui garantit l’épaulette à tous les bons sous-officiers, que sais-je encore ? l’enseignement lui-même affranchi des règles qui imposaient une longue étude aux paresseux et aux impatiens, en voilà plus qu’il n’en faut pour recommander l’administration à tous les médiocres, c’est-à-dire à la majorité ; mais au nom de tous les dieux, qu’importent l’opinion, la faveur, le goût de la majorité des artistes ? En politique, je l’avoue, les majorités priment tout depuis vingt ans ; l’art n’est pas encore abaissé sous les fourches caudines du suffrage universel. Qui diable s’inquiète aujourd’hui des passions ou des intérêts qui entraînaient la majorité des artistes sous Périclès, sous ? Auguste ou sous François Ier. Les plus grands siècles n’ont laissé derrière eux qu’un petit nombre d’ouvrages excellens, produits par quelques hommes supérieurs et rares, c’est-à-dire les fruits d’une infime minorité. Tout chef-d’œuvre est une immortelle exception,