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Le chancelier dut charger un nouvel agent, M. le comte de Trautmansdorf, de chercher un modus vivendi, c’est-à-dire un accord qu’on n’a pas encore trouvé, qu’on ne trouvera point. L’Autriche peut s’en passer. La cour de Rome lui tiendra rigueur ; mais le clergé s’habituera à la nouvelle position qui lui est faite, et dans les provinces où le sentiment national n’envenime pas les débats, tous les gens sensés soutiendront le ministère dans sa lutte pour l’indépendance du pouvoir civil. La solution définitive et désirable serait la séparation complète de l’état et de l’église, c’est-à-dire l’application de la formule si souvent invoquée au sein du Reichsrath : l’église libre dans l’état libre. C’est le but vers lequel marche l’Autriche, et elle y arrivera plus vite peut-être que la Hongrie, parce que le besoin de s’affranchir est d’ordinaire d’autant plus grand que les chaînes que l’on a portées étaient plus lourdes.

L’une des grandes difficultés que cette solution soulève est celle des biens du clergé. En Autriche, l’état est très pauvre, et le clergé est très riche[1] ; le premier a des dettes énormes, le second des revenus considérables. L’exemple de tant d’autres états catholiques, la France, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, qui ont mis la main sur le patrimoine ecclésiastique, est de nature à faire naître bien des tentations. On a trouvé d’ailleurs un mot très innocent pour désigner cette opération lucrative : on l’appelle incamération.

Je ne crois pas qu’on puisse contester à l’état le droit de disposer

  1. Voici l’estimation des biens de l’église en florins autrichiens (le florin vaut 2 francs 50 centimes) :
    Valeur Dette Revenu
    Bénéfices séculiers 113,803,595 2,619,019 8,772,894
    Biens de couvens 62,822,301 3,129,575 4,258,147
    Églises 101,014,557 3,859,982 6,083,281
    Etablissemens d’enseignement et de santé 5,601,187 44,709 513,268
    Etablissemens de bienfaisance 144,043 535 12,033
    Fonds de religion constitué par Joseph II 68,086,807 979,622 3,410,748
    Fonds d’étude 15,418,496 326,642 875,370
    Total 368,890,996 10,960,084 23,925,831


    Dans tout l’empire-royaume, on comptait, en 1861, 1,020 couvens, 9,660 moines et 5,198 religieuses. C’est peu comparativement à la France ou à la Belgique. La valeur des biens ecclésiastiques d’après ce relevé approche de 1 milliard. Comme il a été fait en 1849, cette valeur doit avoir, semble-t-il, presque doublé aujourd’hui. Les revenus de certains évêchés sont énormes. Celui de Gran est de plus de 500,000 florins, celui d’Olmutz de 300,800 florins, Prague 71,680 florins, Saint-Florentin 95,000 florins. Les prémontrés de Schlögl ont par an 53,150 florins, ceux de Tepl 223,000 florins, ceux de Vienne 197,000 florins. Saint-Pierre à Salzburg a un revenu de 87,500 florins, Kremsmùnster de 191,700 florins, Heiligenkruz de 93,900 florins, Osseg de 87,900 florins Les biens de ces couvens ont une valeur et donnent un revenu supérieur à cette évaluation officielle. Les raisons qu’on invoque en faveur de la conservation des bénéfices des prêtres séculiers ne s’appliquent pas évidemment aux ordres religieux.