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confessionnel, qui est le domaine du clergé. Nous ne repoussons pas la religion de l’école, il s’en faut, ce serait en éloigner l’amour et l’humanité ; mais la religion qui conduit à la liberté et à la fraternité, qui nous pousse à remplir nos devoirs, qui nous fait connaître nos rapports avec Dieu, la nature et nos semblables, cette religion qui fait l’homme et le citoyen doit être enseignée par l’instituteur laïque. La rétribution scolaire payée par les parens devrait être abolie et remplacée par un impôt scolaire payé par tous. Il s’agit d’un intérêt général, du plus grand intérêt de l’état, qui concerne les riches et les puissans autant que les pauvres. Le directeur Röhler, un vieillard voué depuis quarante-six ans à l’enseignement, s’écrie qu’il pourrait parler trois jours durant, de cette étable d’Augias qu’on décore du nom d’instruction primaire. Il finit son discours par quelques mots où se peint bien l’esprit qui animait l’assemblée. « Ce qu’il faut, dit-il, donner à nos populations, c’est le sentiment de leur propre valeur. Elles s’attachent aux dehors. Elles ne comprennent pas qu’un enfant né sous le chaume puisse être l’égal de celui qui voit le jour dans un palais. Quand elles arriveront à respecter non les titres, les ordres, les richesses, mais le mérite et la vertu, alors nous aurons des hommes fiers, prêts à verser leur sang pour la justice. Nous dirons comme Diogène à Alexandre : Sortez de mon soleil, vous tous qui nous mettez à l’ombre. En finissant, je veux rendre hommage à ce grand, à cet immortel instituteur des peuples, à Joseph II, dont les idées triomphent aujourd’hui, et à notre empereur actuel, qui, marchant sur les traces de son glorieux ancêtre, a rompu définitivement avec l’absolutisme et avec le régime de la compression militaire et policière. » Qui aurait cru, il y a cinq ans, que de semblables paroles auraient été prononcées par un maître d’école dans le Burg impérial de Vienne ? Est-il beaucoup d’autres pays où une semblable scène pourrait se produire ?

Ce qui est remarquable dans ce congrès, c’est qu’une opposition très décidée, parfois même violente, contre l’influence du clergé n’exclut point du tout des sentimens religieux très réels qui se manifestent à chaque occasion. « Que Dieu vous éclaire et vous guide, dit le président aux membres de l’assemblée en terminant son discours de clôture, c’est la vérité qui nous rendra libres. » Tous les orateurs affirment que la principale mission de l’école est d’imprimer fortement dans l’âme des enfans des sentimens de moralité et de piété. Les télégrammes que des cercles d’instituteurs envoient de différens côtés au congrès commencent par un texte biblique et par une invocation à Dieu. Dans beaucoup de pays, comme l’Italie, l’Espagne, la France, ceux qui s’éloignent du culte officiel tombent dans l’indifférence, et l’hostilité contre le clergé est généralement