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la liberté enfin obtenue, le même espoir en l’avenir, le même sentiment de délivrance[1]. À vrai dire, on croit assister à une constituante de maîtres d’école, et le gouvernement, loin de s’en effrayer, fait complimenter l’assemblée par l’entremise du comte Chorinsky, gouverneur de la Basse-Autriche. Rien ne fait mieux comprendre le mouvement des esprits en ce moment que les discours prononcés à ce congrès.

La première question posée était celle-ci : l’école primaire (Volksschule) est-elle en Autriche ce qu’elle doit être ? Non, répond le premier orateur inscrit, M. Gallistl, elle n’est pas à la hauteur de sa mission, car, complètement soumise au clergé, elle n’a été qu’un instrument de réaction, non de progrès, et elle ne semblait avoir d’autre but que de perpétuer l’influence d’un corps privilégié. L’instituteur n’a point fait tout ce qu’il aurait dû pour éclairer le peuple, d’abord parce qu’il a reçu lui-même une instruction insuffisante, ensuite parce qu’il n’avait pas le degré d’indépendance, d’aisance, de liberté indispensable à l’exercice de ses fonctions.

D’après M. Binstorfer, de Vienne, dont les paroles sont souvent accueillies par des applaudissemens enthousiastes, l’école primaire ne doit pas être mise au service de l’intérêt confessionnel d’une communion religieuse particulière. Elle doit sans aucun doute former des hommes pieux et moraux, mais que l’esprit de secte n’aveugle et ne domine pas. Les ministres des cultes enseigneront les dogmes de leur foi, sans que cette mission, qui est la leur, confère aucun droit de surveillance ou de direction sur les autres parties de l’instruction. En général les maîtres d’école ne sont pas assez instruits ; c’est vrai, mais à qui la faute ? Qu’a-t-on fait en réalité pour leur donner les connaissances qui leur sont nécessaires ? L’enseignement normal est détestable, et se réduit à une pure scolastique propre à dégoûter de l’étude le jeune homme qui s’en montre d’abord le plus avide. M. Leibesdorf développe des idées semblables. Pour que l’école se relève en Autriche, dit-il, il faut d’abord la soustraire à l’autorité de l’église, ensuite en bannir l’enseignement

  1. Comme le dit M. Schreiber dans la préface du livre où il a réuni les débats du congrès des instituteurs, cette réunion est un événement qui peint mieux que tout autre la révolution survenue en Autriche. « L’enthousiasme pour le bien de la patrie, ajoute-t-il, les nobles sentimens qui éclatent dans tous les discours, permettent de bien augurer du développement futur de l’école et du pays. Les générations nouvelles, affranchies des entraves du passé, libres d’esprit, honnêtes, fières, actives, apprendront à aimer ce qui est grand, noble et beau. Les discours des instituteurs expriment parfaitement l’opinion publique, car ils ont été prononcés par des hommes du peuple, vivant avec le peuple, dont ils instruisent les enfans et partagent les besoins, les croyances et les aspirations. Si l’état soutient les maîtres dans leurs efforts, l’Autriche se relèvera. L’avenir nous apprendra si l’on saura tenir compte des nécessités de l’époque ; les instituteurs ont rempli un devoir en les faisant connaître. »