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l’asservissement de l’état, nous n’avons même pas obtenu d’amélioration morale, au contraire[1]. » Le comte Auersperg termina son discours en répétant le fameux programme de Cavour : l’église la libre dans l’état libre. C’est aussi la conclusion à laquelle arrivent plupart des autres orateurs libéraux, le rapporteur, M. von Lichtenfels, M. de Schmerling, le prince Auersperg, le comte Hartig. C’est le dernier mot de tout ce débat sur l’introduction du mariage civil en Autriche. Le succès de cette idée dans ces derniers temps est vraiment prodigieux. Partie d’Amérique, où elle a été complètement appliquée, elle conquiert peu à peu en Europe l’assentiment de tous les amis de la liberté, et elle finira par être introduite dans tous les pays civilisés, parce qu’elle est en rapport avec la conception moderne de l’état. Le rôle de l’état est de garantir aux citoyens la sécurité et l’ordre. Ce qu’il doit aux opinions philosophiques ou religieuses, c’est la liberté : il ne faut pas qu’il les persécute ou les entrave ; il ne faut pas non plus, qu’il les protège, les organise ou les pensionne. Pour être efficace et porter de bons fruits, la religion doit être un sentiment individuel, intime, qui relie l’homme à Dieu, et qui soit le mobile moral de toutes ses actions. Elle peut donner naissance à des associations libres entre personnes dont les convictions sont les mêmes ; mais il faut qu’elle cesse de se pétrifier en institutions gigantesques, oppressives, armées de privilèges, disposant des forces du pouvoir civil, entravant le développement des forces spontanées du cœur et de l’esprit, provoquant l’hostilité des âmes les plus énergiques, et répandant ainsi malgré toutes les résistances l’impiété et l’athéisme.

Au moyen âge, le régime d’une église d’état pouvait convenir aux populations traditionnellement façonnées à l’obéissance ; mais depuis que le XVIe siècle a répandu dans le monde l’habitude et le besoin de l’examen individuel, ce régime fait plus d’incrédules que

  1. Il est bien connu qu’il règne en Autriche une facilité de mœurs qui rappelle un peu celle des îles fortunées du Pacifique. Les uns l’attribuent à la gêne universelle, comme l’auteur anonyme de OEsterreich und seine Zukunft, d’autres à l’influence combinée de la théocratie et de l’absolutisme, comme le comte Auersperg. Le relevé des naissances illégitimes enregistrées à Vienne est vraiment effrayant.
    Années Légitimes Illégitimes
    1862 12,127 11,113
    1863 13,401 12,393
    1864 12,865 12,849
    1865 13,199 12,424
    1866 12,937 13,272
    Total 64,529 62,051


    Ainsi en 1866 il est né à Vienne plus d’enfans naturels que de légitimes. Je n’oserais dire que le concordat en est responsable ; mais, étant introduit pour améliorer les mœurs, il est au moins permis d’affirmer qu’il n’a pas atteint son but.