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sa convenance. Qu’un esclave mette le pied sur un sol libre, il est affranchi. De même l’Autriche, en se plaçant sur le terrain constitutionnel, a reconquis toute sa liberté d’action. Un autre point est encore à considérer. En 1855, quand on a traité avec le saint-siège, Rome était un état indépendant ; il a cessé de l’être, car aujourd’hui il ne se soutient plus que par les armes étrangères. La société a besoin que le sentiment religieux soit puissant ; des privilèges accordés à une église l’affaiblissent loin de la fortifier, parce qu’ils l’exposent à de continuels assauts. Voyez les pays où l’on a appliqué ce principe vraiment moderne : l’église libre dans l’état libre. Il n’y règne pas ces dehors uniformes d’une piété de commande qui cachent ordinairement tant d’indifférence et d’hypocrisie ; mais le sentiment religieux y est bien plus profond, plus vivant, plus efficace. Enlevons à l’église ses privilèges : alors nous ne la verrons plus mettre à l’index des hommes comme l’illustre Günther, qui voulait démontrer l’harmonie du catholicisme et de la philosophie ; alors aussi elle regagnera cette influence que par son attitude actuelle elle perd malheureusement de plus en plus. »

Le comte Antoine Auersperg développa les inconvéniens du concordat avec la verve du poète et le sens pratique de l’homme d’état. « On a eu raison, dit-il, de prétendre que la lamentable banqueroute du despotisme en 1866 a plus fait pour l’émancipation des peuples autrichiens que les tentatives révolutionnaires de 1848. Ce n’est qu’au prix de défaites que nous avons conquis la liberté. La vie parlementaire a été inaugurée en Autriche après Solferino. Depuis Kœnigsgrætz, elle triomphe, et une nouvelle période pleine d’espérance a commencé pour nous. Seulement il faut affranchir l’état du joug de l’église. Quand je vois dans le concordat le saint-siège accorder à notre monarque comme une concession de la bienveillance papale ce qui avait toujours été considéré comme un droit essentiel de la souveraineté, mon patriotisme s’indigne, car il me semble apercevoir l’Autriche du XIXe siècle descendre humiliée dans le fossé de Canossa pour faire pénitence du joséphisme du XVIIIe siècle. L’état et l’église avaient formé un traité d’alliance offensive et défensive pour maintenir le pouvoir absolu en leurs mains. Ni l’un ni l’autre n’y a gagné, et les peuples encore moins. Maintenant cela doit cesser. L’état ne peut pas jouer plus longtemps le rôle de sacristain, et l’église celui d’agent de police. Leur mission est différente, leur domaine doit être séparé. Cette séparation fortifiera le sentiment moral qui doit être la base de la société. Le concordat devait, disait-on, fortifier le sentiment religieux en Autriche. Le résultat ne paraît pas avoir été atteint, car l’adresse des évêques est pleine de gémissemens sur le relâchement des mœurs. Les fruits du concordat ont donc été bien amers, car, pour prix de