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cardinal Antonelli mettait donc en doute la sincérité du chancelier de l’empire. Le pape lui-même ne cachait pas les sentimens qu’on lui avait communiqués au sujet de cette affaire, où il voyait compromis les droits de l’église. Le 31 décembre 1867, dans l’audience où le comte Crivelli lui remet ses lettres de créance, le saint-père s’exprime dans les termes les plus sévères. Arrivant à la question du concordat, il dit que, « depuis que l’agitation contre le concordat a commencé, l’attitude du gouvernement impérial a été équivoque, laissant faire d’un côté, encourageant de l’autre par son silence, se taisant, sans que depuis plusieurs mois on ait fait la moindre démarche pour entrer dans l’examen des détails. » M. Crivelli, qui, on le devine, est complètement de l’avis du pape, résume ainsi l’entretien : « en un mot, on trouve que l’attitude du gouvernement impérial n’a été ni franche ni loyale. » L’envoyé autrichien ajoute : « Je crois que, si on passait outre et si on considérait le concordat comme non-avenu, le saint-siège revendiquerait tous les privilèges accordés au souverain… Je laisse juger à votre excellence la perturbation qui suivrait une séparation violente de l’église et de l’état en Autriche… Un conflit avec le saint-siège dans un moment où les animosités religieuses viendraient s’ajouter aux passions politiques aurait sans doute des suites incalculables, mais sûrement funestes[1]. » Ainsi le chancelier de l’empire rencontrait comme adversaires non-seulement la cour de Rome, mais l’envoyé même qui était chargé de le défendre, et à qui il devait à chaque moment rappeler le sens de ses instructions. M. de Beust fait remarquer d’abord que ce n’est pas lui, que c’est le ministère cisleithanien qui a porté atteinte aux dispositions du concordat, distinction que le cardinal Antonelli, trop peu initié aux divers rouages du dualisme, se refuse à bien saisir. « Le cardinal-secrétaire, dit le comte Crivelli, ne comprend pas comment le chancelier de l’empire peut rester étranger aux pièces qu’il communique d’une façon officielle et se poser comme arbitre entre le ministère cis ou transleithanien d’un côté et un gouvernement étranger de l’autre[2]. » La riposte était fine et atteignait évidemment l’adversaire au défaut de la cuirasse. Dans une précédente dépêche du 10 mars, M. de Beust avait donné le vrai motif de son attitude lorsqu’il écrivait : « Nous ne nous dissimulons pas les difficultés et les embarras dont la question peut devenir la source pour nous. Toutefois notre consolation est que nous ne l’avons pas créée ni provoquée, qu’elle nous a été imposée par l’esprit du siècle et la marche des événemens, contre lesquels nous ne pouvons absolument rien. » En parlant ainsi, M. de Beust ne disait que la vérité. C’était

  1. Dépêche du 3 janvier 1868. — Livre rouge autrichien, p. 86.
  2. Dépêche du comte Crivelli au baron de Beust, Rome, 18 mars 1868.