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hongrois, comme celui de la France, de l’Allemagne et de partout, est ultramontain et tend à le devenir chaque jour davantage ; mais le sentiment national est si puissant, si ombrageux chez les Magyars, les prêtres de la campagne en sont eux-mêmes si remplis, que les forcer à attaquer les droits historiques du pays au nom de la religion catholique serait une tentative hasardeuse. Les luttes séculaires contre le despotisme ont enraciné dans toutes les âmes hongroises un amour de la liberté si vivace, qu’il faudrait beaucoup de temps, de persévérance et d’habileté pour l’extirper complètement, même en confiant la tâche à l’ordre religieux qui partout ailleurs y réussit le plus vite et le plus sûrement. C’est toujours dans l’intérêt et avec l’appui du saint-siège que l’Autriche a essayé de dompter les résistances de la Hongrie. Il en est résulté à l’égard de Rome un sentiment d’hostilité sourde ou tout au moins de défiance instinctive auquel le bas clergé n’est pas resté étranger. Cela fait que la Hongrie est le seul pays où l’épiscopat ne parviendrait pas aujourd’hui à lancer sa milice ecclésiastique à l’assaut des libertés constitutionnelles pour assurer le triomphe du droit canonique. Ce qui est certain tout au moins, c’est que la Hongrie est la seule partie de l’empire-royaume où la justice n’ait pas été obligée de réprimer les excitations à la désobéissance aux lois de l’état qu’ailleurs des prêtres trop zélés font entendre du haut de la chaire dans l’intérêt du concordat.

Le gouvernement cisleithanien n’a pas osé ou n’a pas pu suivre l’exemple de la Hongrie. C’est par des négociations avec le Vatican et par des lois successivement votées que la Cisleithanie a essayé de se dégager des liens des lois canoniques qui l’enserraient de toutes parts. A qui faut-il faire remonter l’honneur ou la responsabilité de ces tentatives d’émancipation ? Dans les dépêches du comte Crivelli, ambassadeur d’Autriche à Rome, nous voyons que la cour du Vatican accuse M. de Beust d’avoir provoqué ou du moins favorisé le mouvement anti-concordataire. « On pourrait, dit le cardinal Antonelli au comte Crivelli, résumer l’attitude du gouvernement impérial et royal en disant qu’il a laissé faire tout ce qu’il fallait pour amener la rupture du concordat, se bornant à nous dire au dernier moment : Voilà ce que nous allons faire, donnez-nous votre approbation, ou nous nous en passerons. Nous avons des informations très détaillées sur ce qui se passe en Autriche, et je suis convaincu que M. le chancelier de Beust ne sera pas étonné d’apprendre qu’elles ne témoignent guère en faveur des grands efforts que le gouvernement impérial aurait faits pour calmer l’agitation soi-disant spontanée contre le concordat[1]. » Le

  1. Le comte Crivelli au baron de Beust, Rome, 18 mars 1868. — Livre rouge autrichien, p. 95.