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d’Augsbourg ensuite, consacrèrent l’hérésie et lui reconnurent une existence légale. C’en était fait à tout jamais de l’unité religieuse dont il avait si longtemps caressé le rêve. C’est ainsi que, chargé de crimes infructueux et accablé sous l’insuccès, il se retira à San Yuste.

On demande parfois à quoi servent les études historiques et pourquoi on ne se contente pas simplement des faits de notoriété publique attestés par les historiens contemporains. Il serait inutile de répondre à ceux qui posent cette question, que l’histoire est avant tout une science, qu’elle poursuit la vérité, et n’a d’autre préoccupation que celle de la découvrir. Jamais ils ne comprendront l’intérêt que trouve le savant à cette poursuite incessante, ni la joie du chercheur qui parvient à établir le vrai caractère d’un fait, sans se soucier si sa découverte flatte ou blesse ses passions, ses intérêts de parti, ses préjugés. C’est là une de ces satisfactions que les travailleurs désintéressés peuvent seuls goûter. Un autre genre de bonheur est réservé aux happy few. Pour eux, l’histoire est un art ; pareille à une tragédie shakspearienne, elle reproduit dans leur essence les actes et les acteurs du grand drame humain. Ce qui semble mystère, contradiction ou hasard dans les choses du monde s’éclaire alors devant le regard de celui qui sait contempler : les mobiles cachés, les ressorts secrets des âmes, les mœurs, les passions, les caractères, s’agitent devant lui dans un lointain qui en rend les contours plus distincts, tout en plaçant les résultats au-dessus de nos intérêts directs, de nos craintes personnelles, de nos appétits immédiats. Ce que tout le monde devrait comprendre, c’est l’enseignement moral qu’apportent les recherches historiques. D’abord on y saisit la marche d’un progrès évident de la conscience. Aucun souverain ne pourrait plus faire ce que trois princes du XVIe siècle purent impunément accomplir contre une fille, une femme et une mère. Ce progrès ne va point en se ralentissant, il s’accélère tous les jours au contraire. Il y a cinquante ans, le cabinet noir était une chose acceptée de tout le monde ; le seul soupçon d’une violation du secret d’une lettre soulève aujourd’hui une véritable tempête dans un pays civilisé. Il y a plus : au fur et à mesure que nous pénétrons davantage dans les entrailles mêmes de l’histoire, certaines grandes lois se dégagent de plus en plus, et il y a en elles une singulière force de consolation, une leçon bien faite pour encourager ceux qui défendent la cause de la liberté. Ce n’est pas que les hommes d’état tirent un profit direct de cet enseignement : jamais aucune situation ne se reproduit de la même façon ; les acteurs varient, les idées se transforment, les circonstances changent, et la politique sera éternellement une grande