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séquestrer une personne. Ces messagers l’engageaient à ne jamais donner sa signature ; ils lui faisaient croire, ce qu’elle était déjà trop disposée à s’imaginer, qu’on se servait d’elle comme d’une arme contre la royauté elle-même. « Je ne puis exprimer en paroles, écrivait Charles le 7 octobre 1520, la douleur que j’éprouve en pensant à la grande insolence et au mépris avec lesquels ils (les députés) traitent la reine ma maîtresse. » Le connétable d’Espagne, Inigo Fernandez de Velasco, qui commandait l’armée de Charles et qui était étroitement lié avec Hadrien et Dénia, ne parlait que de « la sainte entreprise de délivrer la reine légitime des mains d’une soldatesque barbare. » Francisco de Léon, un des agens d’Hadrien, lui promit formellement que le chef de l’armée royale lui laisserait sa liberté. « Ceux qui disent qu’elle sera renfermée de nouveau mentent. » Ces manœuvres ne réussirent que trop auprès de Jeanne. En vain les comuneros insistèrent-ils pour obtenir une décision en leur faveur : elle ne voulut pas se mettre à leur tête ; elle usa même de toute sorte de stratagèmes, et révéla une singulière connaissance des procédures et formalités pour gagner quelques jours et laisser à l’armée des nobles le temps d’arriver. On essaya de l’intimider, elle n’en fut que plus ferme. Si elle ne savait vouloir, elle avait appris depuis son enfance à ne pas plier devant les volontés d’autrui. On la conjurait à genoux, lui présentant la plume et l’encre pour signer la proclamation qui l’eût faite maîtresse incontestée du royaume ; elle refusa, engagea les députés à s’entendre avec les nobles. « Les grands et la noblesse, disait-elle, sont mes loyaux serviteurs, ils ne feront de mal à personne. Laissez-les entrer dans la ville. » On se garda bien d’y consentir, et l’armée royale fut obligée de donner l’assaut à la forteresse le 5 décembre 1520. Elle eut facilement le dessus sur les forces indisciplinées des bourgeois qui s’étaient improvisés soldats. Jeanne, pleine de joie, vint à la rencontre des vainqueurs. Une réception solennelle fut organisée au palais ; la reine se vit entourée de tous les grands si souvent réclamés par elle ; elle eut un mot aimable pour chacun d’eux, lorsque soudain elle aperçut le visage sinistre du marquis de Dénia.

Les nobles délibérèrent, à ce qu’il semble, sur le sort de la reine. L’amiral Fadrique Henriquez déclara qu’il « la tenait pour jouissant de toute sa raison ; » mais Vega, le comendador mayor, soutint avec succès que « ce serait le plus grand malheur pour l’Espagne qu’il y eût deux souverains (8 décembre 1520), » et l’avis de l’amiral ne put l’emporter. Toute cette noblesse avait été enrichie aux dépens des domaines royaux inaliénables ; elle craignit d’être obligée à rendre gorge et d’être dépouillée de ces biens illégalement