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politique en ses demandes : c’est du marquis lui-même que vient cette bizarrerie. Si tous les morts ressuscitent dans ces étranges conversations, c’est Dénia qui leur rend la vie, ce n’est point la pauvre Jeanne, à laquelle il cachait avec le plus grand soin d’abord la fin de son père Ferdinand, puis celle de Maximilien d’Allemagne, son beau-père, à propos duquel il inventa même une petite fable touchante. Le vieil empereur, disait-il, aimait tant son petit-fils Charles, qu’il avait abdiqué en sa faveur. Le marquis alla même jusqu’à fabriquer une lettre autographe de Maximilien à sa bru pour lui annoncer son action généreuse. En même temps il dictait à la reine une réponse qu’il tenait à montrer, mais que, fidèle à son système, elle refusa d’écrire et même de signer. Charles visita sa mère ; on fit croire à celle-ci qu’il n’était venu en Espagne que pour intercéder en sa faveur auprès de Ferdinand, mort depuis plus de deux années. « J’ai dit à la reine, notre maîtresse, écrit Dénia en 1519, que le roi, mon maître et son père, vit encore, afin de pouvoir soutenir que tout ce qui déplaît à son altesse se fait par son ordre et d’après sa volonté. L’affection qu’elle a pour lui fait qu’elle supporte ainsi son sort plus facilement qu’elle ne le supporterait, si elle savait qu’il est mort. C’est d’ailleurs avantageux pour votre majesté à beaucoup d’autres égards. » On comprend de reste ces autres avantages quand on se rappelle le bruit répandu à dessein que la reine ne pouvait se décider à croire à la mort de Philippe. Une lettre écrite par elle à Maximilien mort ou à Ferdinand mort eût été une preuve irréfutable de sa monomanie, qui trouvait encore beaucoup d’incrédules.

Pour tout le reste, Jeanne fait preuve de beaucoup de bon sens dans ces conversations rapportées presque textuellement par le gouverneur de Tordesillas à son maître. Elle se doute bien qu’on lui cache la vérité sur les choses du dehors ; elle se plaint de ce que tout son entourage joue un rôle imposé par Dénia. Elle essaie, sans beaucoup de succès, il est vrai, de se renseigner d’une manière authentique sur l’état des esprits et des partis dans le royaume. A tout moment, elle demande à voir les grands d’Espagne et à conférer avec eux ; elle réclame une visite du despensero mayor, qu’on ne lui accorde naturellement pas ; elle fait des tentatives pour sortir de prison : tantôt c’est le mauvais air qu’elle veut fuir, tantôt ce sont des douleurs simulées qui lui commandent de quitter le palais ; elle consent même à entendre la messe régulièrement, si c’est dans la chapelle du couvent voisin qu’on veut la lire. On voit à toutes ses paroles qu’elle nourrit l’espoir de rencontrer quelqu’un à qui elle puisse se confier. Elle montre non-seulement une habileté consommée, mais encore une véritable éloquence. « Ses paroles