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là ? Le rebut de Paris, des vagabonds, des voleurs, des repris de justice, des misérables aussi qui ne peuvent inspirer que la pitié. « J’ai un asthme, disait l’un d’eux, qui m’empêche de travailler ; je tousse beaucoup, et à cause de cela les logeurs me mettent à la porte ; je viens coucher sur les fours à plâtre parce que j’en éprouve quelque soulagement. » Celui-là a dû être immédiatement et d’urgence dirigé sur un hôpital pour y recevoir des soins. On y arrête des enfans échappés et voleurs ; quatre d’entre eux furent surpris au moment où ils dépeçaient à pleines mains et mangeaient une motte de beurre qu’ils avaient enlevée à la halle. Ces razzias donnent des résultats importans ; en deux jours, les 19 et 20 février 1869, on a saisi 77 individus, dont 58 avaient déjà eu à compter avec la justice.

Telle est cette armée du mal qui sans cesse en haleine menace et attaque Paris ; elle est composée de partisans isolés et assez peu intelligens, quoi qu’on en ait dit ; elle n’obéit à aucun chef, ses soldats se haïssent et se nuisent entre eux ; les passions bestiales les emportent, et leur laissent rarement l’esprit de suite et la lucidité qui font les grands criminels. Si l’on regarde vers le passé, vers ces temps prétendus glorieux qu’on préconise encore, si l’on se rappelle qu’en 1609 on prescrivit de fermer les théâtres à quatre heures du soir, en hiver, à cause des bandes de voleurs qui, la nuit venue, se ruaient sur la ville, si l’on n’a pas oublié les vers de la sixième satire que Boileau écrivait en 1665, si l’on se souvient qu’à la veille même de la révolution les malfaiteurs trouvaient légalement des lieux d’asile inviolables dans les enceintes du Temple, de l’Abbaye et ailleurs, on conviendra que nous jouissons d’une sécurité que n’ont point connue nos ancêtres. L’homme est mauvais, la justice le maintient, la philosophie l’adoucit, qu’elle soit appuyée sur un dogme religieux traditionnel ou qu’elle soit une simple conception de l’esprit ; mais les âmes perverses, trop violentes ou trop faibles, échappent à cette double influence, et les bandits dont j’ai essayé d’esquisser la physionomie ne sont point touchés par des notions métaphysiques. Ils ne respectent guère que la force, l’adresse, la vigilance. En présence des mauvais instincts qui portent atteinte à son repos et à sa propriété, la société est en droit de légitime défense : elle a édicté des lois répressives, et confié le soin de la sauvegarder à une autorité active et toujours aux aguets. J’espère pouvoir raconter bientôt à quels hommes incombe ce soin périlleux, et expliquer les rouages multiples de ce qu’on appelle en langage administratif la sûreté publique à Paris.


MAXIME DU CAMP.