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sensibilité, cette sensibilité au jeu des fibres, et le jeu des fibres à l’action des objets. Bichat rapporte toutes les fonctions de l’intelligence à la vie animale et toutes les passions à la vie organique. Enfin le dernier mot de l’école de la sensation sur la question des rapports du physique et du moral se trouve dans l’ouvrage de Cabanis consacré à montrer surtout que le moral chez l’homme n’est encore que le physique considéré sous un certain aspect : la pensée n’est qu’une sécrétion du cerveau.

Avec notre siècle commence une réaction contre la philosophie de la sensation. Maine de Biran répond au livre des Rapports du physique et du moral en distinguant deux vies, deux âmes, deux hommes, la vie, l’âme, propres à l’homme animal, et la vie, l’âme, propres à l’homme vraiment humain, dont l’attribut est la volonté. Il sépare si bien les deux points de vue ou plutôt les deux réalités qu’il eût dit volontiers de la volonté ce qu’Aristote a dit de la pensée, qu’elle est le seul acte de la vie humaine qui n’ait pas besoin d’organe. Tout en conservant à la conscience des facultés comme la sensibilité, la mémoire, l’imagination sensible, que Maine de Biran avait reléguées dans la vie animale, Jouffroy admet avec Platon, Aristote, Descartes, Maine de Biran, une âme qui vit d’elle-même et par elle-même, qui agit, s’observe, se contemple dans les profondeurs de son essence, se voit elle-même et elle seule, en un mot, une âme à part du monde extérieur. Sa méthode d’observation immédiate et directe, mal comprise à cause de quelques expressions équivoques, fut peu goûtée et peu pratiquée par les philosophes eux-mêmes. Son spiritualisme parut exagéré dans quelques-unes de ses explications touchant certains phénomènes, comme le rêve, où il trouva un habile contradicteur dans la personne du docteur Bertrand, médecin et naturaliste éminent prématurément enlevé à la science.

Cette réaction psychologique, malgré l’autorité des noms qui la représentaient et le talent littéraire de l’école qui la soutint, n’arrêta point l’ardeur des recherches ni l’essor des ambitions physiologiques dans la question toujours agitée des rapports du physique et du moral. On vit bientôt les plus célèbres physiologistes contemporains, Gall, Broussais, Pinel, Esquirol, Richerand, Magendie, Flourens, s’engager plus avant dans la voie ouverte par l’école de Buffon, de Bonnet et de Cabanis, mais avec des méthodes d’observation plus conformes aux progrès des sciences naturelles. Jusque-là, le problème avait été résolu d’une manière vague ; on n’avait fait appel qu’aune expérience banale qui ne portait que sur des faits significatifs sans doute pour la thèse générale, mais sans suite et sans conséquence pour une véritable doctrine scientifique. Cabanis lui-même, dans son grand ouvrage, n’avait guère fait que