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médecins, des savans, des philosophes, des moralistes, des poètes. De tout temps, l’homme a été étudié de deux manières, par les sens extérieurs et par le sens intime.

La question des rapports du physique et du moral n’est pas moins ancienne que la distinction établie entre eux ; elle n’a pas plus échappé aux savans de l’antiquité qu’à ceux des temps modernes. Dans l’antiquité, elle n’a guère moins préoccupé les philosophes que les médecins. Platon, dont le spiritualisme va jusqu’à la parfaite indépendance d’une vie purement spirituelle dans un monde supérieur, fait résider les trois facultés de l’âme, l’intelligence, l’activité, l’appétit, dans les trois parties du corps, la tête, le cœur et le ventre. Plus spiritualiste que son maître en ce qui concerne l’âme pensante, puisqu’il n’admet pas qu’elle ait besoin d’organes pour agir, Aristote ne se borne point à reconnaître pour les deux autres âmes des organes correspondans ; il les fait rentrer dans l’histoire naturelle, paraissant ainsi les confondre avec les autres principes de la vie physique. Galien met toute sa science physiologique au service de la doctrine de Platon. Descartes fait résider le principe même de la pensée dans la glande pinéale. Bossuet place aussi l’âme dans le cerveau, sans désigner la glande pinéale ; quand il dit que l’âme et le corps forment un tout naturel, voulant par là exprimer la nature intime du lien qui rattache l’âme au corps, il se montre moins fidèle à la psychologie de Platon et de Descartes qu’à celle d’Aristote. Selon Malebranche, l’âme et le corps ne sont l’un pour l’autre qu’une cause occasionnelle d’action et de mouvement ; c’est Dieu qui est le véritable moteur. Pour Spinosa, il n’y a qu’une simple correspondance d’actions et de mouvemens au sein de la substance universelle. Pour Leibniz, qui admet la distinction et l’activité propre des substances, l’âme et le corps sont comme deux horloges dont les mouvemens et les actes se produisent spontanément en vertu d’une harmonie préétablie, comme dans tout le reste de l’univers. Cudworth explique les rapports de l’âme et du corps par l’hypothèse d’un médiateur plastique. Stahl fait de l’âme le principe unique de tous les phénomènes de la vie physique. Au siècle dernier, l’école de la sensation, qu’elle admette ou non la spiritualité de l’âme, tend, en vertu de son principe, à exagérer l’influence du physique sur le moral. Helvétius va jusqu’à expliquer par la conformation de la main la supériorité de l’homme sur l’animal, fait que d’autres attribuent à l’organe vocal ou à un ensemble d’organes plus parfaits chez l’homme que chez les animaux. Bonnet ne peut croire à la séparation de l’âme et du corps. Si le philosophe professe la spiritualité du principe pensant, le physiologiste explique toute la vie morale en subordonnant l’activité de l’âme à la