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toujours, à moins de circonstances singulièrement favorables, il est perdu ; le vice l’a pris et le crime l’attend. L’âge vient, les passions de la jeunesse le sollicitent et le poussent. Il vole de l’argent, chez son père d’abord, chez son patron, dans une boutique ouverte ; s’il est pris, il passe en jugement ; on a pitié de son âge, qui plaide pour lui ; il reste deux ans en prison, deux ans pendant lesquels il vit avec ce que la société a de pire, dans des préaux où il n’entend que forfanteries criminelles, car là c’est à qui se vantera des plus effroyables actions ; comme un apprenti qui veut passer maître, il se parfait en son art. Au sortir de la prison, il retrouve ses camarades. Les timides opérations d’autrefois sont tournées en risée. On rêve des vols avec effraction, de grosses affaires qui font courir un risque sérieux, mais rapportent du moins d’importans bénéfices. Le crime est résolu, un imprudent en est témoin par hasard, il crie au voleur, il est tué, et le petit vagabond d’autrefois, devenu assassin, s’en va retrouver sur la guillotine le monde inexplicable des Castaing, des Avril et des Norbert. Énergie physique et défaillance morale, tels sont les deux traits principaux qu’on retrouve chez presque tous les criminels. Quelques-uns, prenant le banc des accusés à la cour d’assises pour une sorte de piédestal, affectent des attitudes théâtrales. Comme Lacenaire, ils veulent élever leurs instincts pervers, leur lâcheté devant le travail quotidien, leur énergie passagère pour le meurtre, leur faiblesse constitutionnelle dont ils ne savent sortir que par des accès de frénésie, ils veulent dans un langage déclamatoire élever toutes ces hontes à la hauteur d’un principe et dire qu’ils sont en guerre avec une société où le pauvre ne trouve pas sa place. Impudences et sottises que tout cela ! Dans une nation aussi profondément démocratique que la nôtre, où des garçons de café sont devenus rois, où des fils d’aubergistes ont été ministres, où des enfans trouvés ont été des savans illustres, il y a place pour tout le monde. Les théoriciens du vice à outrance et du crime par compensation ne sont même pas dupes de leur propre mensonge : ils ont volé, ils ont assassiné, parce qu’ils étaient des misérables, et ils le savent bien.


II

Ainsi qu’un peuple issu d’une même famille, les voleurs ont un langage commun, langage pittoresque, très imagé, qui a fait des emprunts à bien des dialectes, et dont les origines semblent remonter aux bandes, aux compagnies franches qui se formèrent en France après la destruction de notre chevalerie dans les grandes défaites du XIVe et du XVe siècle. C’est l’argot, la langue qu’on parle