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mesure ses prix selon des occurrences exceptionnelles, l’homme qui trouve un objet et se l’approprie, le joueur qui sait avec adresse amener la chance de son côté, le tapissier qui met du varech au lieu de crin dans ses fauteuils, sont autant de voleurs. L’employé qui emporte chez lui et destine à son usage personnel le papier et les enveloppes que son administration lui confie pour le service de l’état est un voleur. Le chasseur qui cache une pièce de gibier en passant devant les agens de l’octroi, la femme qui dissimule des dentelles au douanier, commettent un vol tout aussi bien que le gamin qui enlève une cravate à un étalage ; seulement c’est l’état qu’on vole, et c’est un être de raison qu’on traite avec plus de sans-gêne qu’un particulier. Cependant ces mêmes personnes dont la délicatesse fait subitement défaut en présence du trésor public pousseraient de beaux cris, si leur rue n’était pas éclairée, gardée, nettoyée, pavée, si, sous prétexte que l’octroi et la douane ne rapportent plus assez, on supprimait les sergens de ville qui les protègent.

Les administrations sont bonnes personnes, et elles détournent les yeux avec mansuétude pour n’être pas obligées de sévir et pour éviter le scandale d’une répression qui fait souvent plus de mal que de bien sur l’esprit public. Il n’en est pas de même lorsque c’est la propriété d’autrui qui est menacée, et l’on pourchasse sans repos ni trêve ces enfans perdus qui demandent au crime, par accident d’abord, par habitude ensuite et par perversion définitive, leurs moyens d’existence. Il est un fait irrécusable et que l’histoire naturelle explique : les malfaiteurs, j’entends ceux qui font métier de rapines, sont absolument semblables les uns aux autres, à quelque catégorie de la société qu’ils appartiennent ; ce sont les mêmes passions, les mêmes appétits qui les font agir. Quoi qu’en aient dit certains philanthropes, on ne vole que bien rarement pour manger ; les trois grands mobiles qui poussent l’homme hors de toute voie et le jettent à travers les plus coupables aventures sont les femmes, le jeu et la boisson. Il y a des exceptions cependant. Rafinat, qui fut un moment compromis, dans le vol des médailles de la Bibliothèque royale, caroubleur redoutable (voleur à l’aide de fausses clés), envoyait à sa famille le produit de ce qu’il appelait ses expéditions. Pour un de cette espèce, il s’en trouve dix mille qui n’ont d’autre but que de satisfaire leurs goûts brutaux. Un voleur travaillant dans une foule enlève un porte-monnaie garni de 50 francs ; il va au plus vite dans un estaminet mal famé, y boit de l’eau-de-vie, y joue, y ramasse une femme de mauvaise vie, et va dépenser avec elle jusqu’à son dernier centime ; un membre d’un cercle qu’il est inutile de désigner triche au jeu et gagne 10,000 francs ; il va