Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 81.djvu/633

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Du singe à l’homme, il n’y aurait, d’après certains anthropologistes, qu’une nuance intellectuelle. A un moment donné de l’existence de l’un et de l’autre, le fait a été effectivement constaté. L’orang-outang de Frédéric Cuvier, âgé seulement de quinze à seize mois, avait besoin de société. Il s’attachait aux personnes qui le soignaient ; il aimait les caresses, donnait de véritables baisers, boudait lorsqu’on ne lui cédait pas, et témoignait sa colère par des cris en se roulant par terre. Il ouvrait lui-même la porte de la chambre où on le mettait, et, comme sa taille était petite, il allait chercher une chaise pour y monter et atteindre le loquet. Ce singe était vraiment supérieur à la plupart des enfans du même âge que lui ; mais attendez. Dès qu’il eut dépassé la jeunesse, son intelligence, au lieu de suivre un développement croissant, s’affaiblit avec rapidité. C’est que telle était sa loi. L’orang-outang, tant qu’il est jeune, étonne par sa pénétration, par sa ruse, par son adresse. Devenu adulte, il n’est plus qu’un animal grossier, brutal, intraitable. « Il en est de même de tous les singes, » ajoute M. Flourens. Ainsi l’entelle a dans le jeune âge le front large, le museau peu saillant, le crâne élevé, arrondi. À ces traits organiques répond une intelligence développée. Plus tard, le front disparaît, recule, le museau est proéminent, et le moral ne change pas moins que le physique : l’apathie, la violence, le besoin de solitude, remplacent la pénétration, la docilité, la confiance. Notez qu’il s’agit ici d’animaux restés dans la société de l’homme et soumis jusqu’à leur mort à la puissante influence de l’âme libre. Cette influence, ils en ont ressenti les bienfaisans effets jusqu’à un jour déterminé. Passé cette date, il y a eu dans leur esprit arrêt de développement. Que dis-je ? leur intelligence est revenue en arrière. Ce phénomène si considérable semble démontrer que l’âme du singe a ses bornes intellectuelles qu’elle ne franchit pas. Tout ce qu’elle enveloppe de virtualités, de possibilités, se déploie et paraît à l’heure de sa pleine jeunesse ; puis le vase est vide, la source est tarie : plus rien. Au contraire ce maximum d’intelligence que le singe ne dépasse pas n’est pour l’homme qu’un minimum au-dessus duquel il s’élève, s’il le veut, à chaque minute de sa vie, montant toujours plus haut jusqu’à la fin. Des faits de ce genre observés à fond, accumulés, coordonnés, seraient décisifs et, j’ose le dire, écrasans.

Supposez que l’on achève cette biographie psychologique de l’animal qui nous ressemble le plus. Concevez qu’on ait aussi écrit celle des animaux supérieurs, puis de ceux qui les suivent, jusqu’aux plus imparfaits. On aura sur chaque espèce d’êtres une monographie pareille à celle d’Huber sur les fourmis. Éclairée par ce travail préparatoire des naturalistes, la philosophie descendrait à