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les différences d’âme ou d’esprit. A l’égard de l’organisation physique des animaux, M. Agassiz enseigne qu’on doit étudier l’animal visible à chacun des degrés, à chacun des momens de son existence, même dans l’embryon, même dans l’œuf. On s’assure ainsi que les ressemblances d’un jour ou d’une période, ressemblances qui frappent quand elles paraissent, mais qui ne persistent point, ne prouvent absolument rien en faveur soit de l’identité, soit de la parenté des espèces. « J’ai moi-même étudié, dit l’éminent observateur, une centaine d’embryons d’oiseaux maintenant déposés au musée de Cambridge. J’ai trouvé qu’à un certain âge ils avaient tous les ailes, le bec, les jambes, les pieds exactement pareils. Le jeune merle à poitrine rouge et la jeune corneille ont le pied palmé tout comme le canard ; c’est seulement plus tard que les doigts deviennent distincts. » De ces formes embryonnaires, un instant parfaitement semblables, on voit sortir cependant des oiseaux qu’il est impossible d’assimiler. Tournez maintenant cet instrument d’analyse du côté des ressemblances psychologiques de l’animal avec l’homme ; l’étendue, la profondeur, la durée des similitudes et aussi le point précis où elles s’arrêtent brusquement se montreront à vos yeux. Ainsi il est constaté qu’à une date de leur vie le singe et l’homme manifestent des facultés presque équivalentes. M. Agassiz avoue tout le premier qu’il ne saurait dire en quoi les facultés mentales d’un enfant diffèrent de celles d’un jeune chimpanzé ; mais il ne se presse pas d’en conclure que l’homme n’est qu’un chimpanzé transformé. Loin de là, il confesse son ignorance et déclare qu’il n’en sortira, et que les savans comme lui n’arriveront à quelque lumière, que par une comparaison minutieuse de l’homme et du singe à tous les momens de leur existence respective.

Ce travail n’est point à faire tout entier ; il a été commencé en France, et il n’y aurait qu’à le reprendre et à le continuer. Vers 1843, un excellent petit livre de M. Flourens captiva l’attention publique. Ce n’était qu’un résumé, mais un résumé lumineux et attrayant des travaux de F. Cuvier sur l’instinct et sur l’intelligence des animaux. Quoique la question de nos origines simiesques n’eût pas encore été de nouveau soulevée, le succès du modeste volume fut rapide. Les lecteurs éclairés étaient frappés surtout des différences que F. Cuvier avait su faire ressortir au milieu même des ressemblances les plus désagréables. C’est précisément à l’aide du procédé recommandé par M. Agassiz que notre savant compatriote avait aperçu et marqué ces traits de saisissante dissimilitude. F. Cuvier était à la fois naturaliste et psychologue. Il s’était donc livré à des recherches suivies de psychologie comparée, et avait abouti à des résultats d’une extrême importance ; nous en citerons un avant de conclure.