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profession ? N’est-elle qu’un rêve de plus ajouté à tant d’autres rêves, ou porte-t-elle dans son sein de beaux germes d’avenir ?


III

Si l’on néglige les détails sans importance pour ne s’attacher qu’aux propositions saillantes, cette philosophie de la nature se résume en trois points. D’abord la matière est animée de forces actives, bien que dépourvues de sensibilité, de volonté, d’intelligence et par conséquent de conscience, à quelque degré que ce soit. D’après certains savans, ces forces résident dans des atomes étendus, mais invisibles ; d’après d’autres, ces forces sont des monades indivisibles, quoique résistantes, et inétendues, quoique donnant au tact l’impression de la solidité. Selon ces derniers, la matière n’est plus qu’un assemblage de centres de forces simples, comme le pensait Faraday. — En second lieu, les animaux ont des âmes substantiellement pareilles aux nôtres, âmes actives ; sensibles, douées même de quelque volonté et d’une certaine intelligence, mais privées de liberté et de raison. — Enfin, et voici à coup sûr de quoi scandaliser beaucoup de gens, comme le corps humain, l’âme humaine, envisagée dans l’espèce, sinon dans l’individu, a des origines animales ; mais, après avoir fourni sa terrestre carrière, chacun de nous deviendra un être nouveau, supérieur à l’homme autant que celui-ci est au-dessus du chimpanzé et voué à des destinées toujours de plus en plus hautes. Telles sont les nouveautés qu’il est temps de juger.

A quoi bon ? répondent quelques savans. Ces assertions dont vous vous préoccupez ne contiennent rien dont la métaphysique ait lieu de se prévaloir ; ce ne sont que des hypothèses, des échafaudages volans que nous laisserons à l’écart dès que nos constructions seront achevées. L’objection est spécieuse, mais il est aisé de la renverser. Si les conceptions idéalistes sur les causes secondes et sur l’essence de la matière n’ont qu’une valeur hypothétique, il est surprenant que les savans y attachent presque constamment une signification positive. Dans leur langage, les atomes chimiques, bien loin de figurer simplement à titre de signes et de symboles, agissent en individus réels, doués d’attributs, riches die propriétés, sinon de facultés » Les âmes animales évoquées par les naturalistes se comportent, non en fantômes d’école ou en mannequins scientifiques, mais en personnages vivans, pleins de désirs, de passions, d’amour. Si ces conceptions ne sont que des artifices de méthode tout à fait provisoires, comment le progrès de l’esprit humain ne les a-t-il pas rendues inutiles ?