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manifestations de l’esprit, mais encore de la permanence des différences spécifiques qui caractérisent chaque organisme. » S’élançant dans le champ infini des inductions et de l’idéal, M. Agassiz ne balance point à affirmer l’immortalité des bêtes. On raconte qu’un homme d’une érudition rare et de beaucoup d’esprit regrettait vivement, aux approches de sa fin, de ne pouvoir emporter au-delà du tombeau sa bibliothèque bien-aimée. Il souriait en en faisant l’aveu ; mais son regret était sincère. Pareillement la raison de M. Agassiz ne conçoit pas un paradis où manquerait la faune si riche et si belle de ces États-Unis dont il a fait sa seconde patrie. Comment ne pas être frappé de ces tendances de la science moderne qui non-seulement atteignent, mais encore laissent loin derrière elles les suprêmes espérances des métaphysiciens spiritualistes ?

Ce n’est, répondra-t-on, qu’un cas particulier. — Je pourrais répliquer qu’en ces matières on pèse les voix au lieu de les compter. Mieux vaut à ce témoignage en ajouter un autre de poids presque égal et en même temps d’un autre caractère. Voici donc maintenant un savant français aussi réservé, aussi jaloux de garder la neutralité à l’égard des doctrines spéculatives que le précédent est porté à conclure en philosophe. Dans ses ouvrages et dans ses leçons, M. de Quatrefages aime à répéter qu’il s’interdit sévèrement le terrain des idées tant religieuses que philosophiques. Loin de nous la pensée de mettre à plaisir un tel esprit en contradiction avec lui-même. On cherche ici des témoignages à recueillir, non des adversaires à embarrasser. Il sera donc permis de signaler sans dessein hostile les points où l’anthropologie, bon gré mal gré, touche à la métaphysique ou plutôt s’y engage.

Parmi les questions que se pose l’anthropologie, la première est celle-ci : quelle est la place qui appartient à l’homme dans le tableau général des êtres, et d’abord à quel règne se rattache-t-il ? Résoudre ce problème n’est possible qu’à la condition de distinguer l’homme du minéral, du végétal, de l’animal même, s’il y a lieu. L’anthropologie, celle du moins qu’enseigne M. de Quatrefages, refuse aux minéraux et aux plantes la sensibilité et la volonté, tandis qu’elle regarde ces facultés comme les attributs essentiels de la nature animale. N’entrevoyant pas dans le végétal le plus petit indice de sensation réelle ou d’émotion véritable, cette science réserve à l’animal la sensibilité qui l’excite et la volonté qui le meut sous l’aiguillon de la souffrance et du désir. C’est fort bien ; toutefois la zoologie doit nous apprendre où elle a fait connaissance avec ces puissances animales qu’elle nomme sensibilité et volonté. Elle répondra sans doute qu’elle les a aperçues au fond de la conscience humaine, car la sensibilité du chien tant admirée et la volonté du mulet si incontestée, personne ne les a jamais vues ; mais au nom