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science infligea deux déceptions cruelles. Renommé pour son habileté à produire de l’or, il fut incapable d’arracher à ses cornues la somme de dix pièces d’argent promise en dot à sa femme, et subit la prison pour dettes. Plus tard, atteint de cécité à la suite d’une cataracte, il reconnut, à ses dépens, son impuissance à commander aux maladies. Peu à peu cependant l’alchimie, instruite par ses échecs même, se rapprochait des voies scientifiques. Certes, au moment où le grand souffle de la renaissance excitait les intelligences et les poussait à toutes les audaces, Paracelse était encore alchimiste et astrologue. Il admettait, sous le nom de grand arcane, une matière première d’où la Divinité, selon lui, tirait tous les êtres, qui sont autant d’arcanes particuliers. Sans doute il a écrit des pages extravagantes où il prouve que certains homuncules semblables à nous peuvent naître en dehors des voies physiologiques ; pourtant l’alchimie est à ses yeux autre chose que l’art de faire de l’or. C’est par excellence l’art de plier à notre usage les forces physiques en imitant habilement les opérations de la nature elle-même, qu’il nomme le premier des alchimistes. Lorsqu’il tenait ce langage dont la bizarrerie cache une réelle profondeur, Paracelse était le véritable précurseur de la chimie moderne. Imiter en effet les actions et les réactions de la nature, comme elle défaire, refaire, décomposer, recomposer les corps, telle devait être la puissance expérimentale de la nouvelle science chimique. D’autre part, personnifier la nature, la considérer sinon comme un alchimiste unique, du moins comme un ensemble de forces invisibles et idéalement conçues, dont il faut surprendre les habitudes et les lois, telle devait être la puissance théorique du chimiste au XIXe siècle. De ces deux puissances, on peut dire que Lavoisier a fondé la première, Dalton la seconde.

Lorsque Lavoisier parut, l’alchimie agonisait ; mais elle n’était pas morte. Soutenue par la pensée que les métaux étaient des corps composés et par l’incorrigible espoir d’en retirer beaucoup d’or, elle s’obstinait dans ses anciennes pratiques. Lavoisier lui porta le coup de grâce en démontrant que les métaux sont des corps simples ; mais là ne se borna point l’œuvre de son génie. Généralisant la notion des corps simples, il l’éleva au suprême degré de clarté. Il proclama simples les corps dont on ne peut tirer qu’une seule espèce de matière, qui, soumis à toutes les épreuves, se retrouvent toujours les mêmes, indestructibles, indécomposables. Après avoir défini ces corps, Lavoisier montra qu’ils étaient doués du pouvoir de s’unir entre eux et de former par là des corps composés sans que cette union entraîne la moindre perte de substance. Il constatait en effet, la balance à la main, que chaque combinaison