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idées darwiniennes, M. Schaaffhausen, professeur à Bonn, a trouvé le secret d’édifier, en se fondant sur la théorie de l’évolution, une zoologie spiritualiste dont les perspectives hardies s’étendent à l’infini dans le passé et dans l’avenir. Les doctrines de ces savans ont d’autant plus de signification qu’ils ne sont enrôlés sous aucune de nos bannières philosophiques. En méditant sur leurs travaux, je suis arrivé aux conclusions suivantes, que je vais essayer de justifier par la démonstration. D’abord il y a au fond de la chimie moderne un idéalisme tantôt conscient, tantôt inconscient, mais nettement caractérisé. En second lieu, les naturalistes actuels ont aussi leur métaphysique, peut-être plus hardie encore. Enfin cet idéalisme scientifique, quoique parfois aventureux, n’est ni tout à fait hypothétique ni purement chimérique. Il répond aux vues les plus neuves de certains penseurs aussi solides que brillans, et il signale un mouvement auquel la philosophie proprement dite doit résolument s’associer pour l’empêcher d’avorter et pour recouvrer cette hégémonie intellectuelle à laquelle son honneur et son devoir lui commandent également d’aspirer.


I

Parmi les premières sciences où se soit exercée l’activité naissante et inexpérimentée de l’esprit humain, la chimie est assurément l’une des plus anciennes. Sans la faire remonter jusqu’à Mezraïm, fils de Cham et premier roi d’Égypte, sans en chercher les origines dans la douteuse sagesse des prêtres égyptiens, il est permis d’en reconnaître au moins les germes au fond des systèmes qui furent les préludes de la philosophie grecque. Dès cette époque, l’étude de la nature, confondue avec celle de la matière, était déjà idéaliste, car elle assimilait les forces physiques tantôt à des âmes, tantôt à des dieux. L’abus qu’elle faisait de l’hypothèse et de la conjecture était compensé par de fermes tendances philosophiques. A partir de notre ère, ce fut l’esprit de chimère qui l’emporta. Alors et au moyen âge, on rencontre de plus en plus marquées les traces de l’alchimie, cette recherche ardente et folle qui visait à découvrir le double secret de convertir les métaux en or et de prolonger à volonté la vie de l’homme en la dérobant aux maladies. Au premier siècle, Caligula tentait d’extraire de l’or d’une grande quantité d’orpiment, mais le peu de succès de son expérience ne tardait point à le dégoûter. Bien d’autres devaient réussir aussi peu sans toutefois perdre courage. Dix siècles plus tard en effet, l’alchimie, malgré ses mécomptes, s’obstinait à vivre d’espérance. L’une de ses plus fameuses victimes fut un médecin nommé Rhazès, à qui cette