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rappelle une incertitude, une anxiété, un doute douloureux, tout y parle au contraire d’un sommeil doux et profond comme celui de l’enfance ; c’est vraiment un dortoir éternel. Est-ce le cimetière d’une communauté de chrétiens ? est-ce le cimetière d’une secte qui admet l’annihilation de l’être ? Pour celui qui s’en tiendrait à la surface des choses, le doute serait vraiment permis.

Et cependant le sentiment qui a donné naissance à ces aimables champs de repos est bien réellement chrétien, mais seulement, il est vrai, dans des conditions très particulières qui ne sont pas celles de nos vastes et profanes sociétés. Chrétiens pour une petite secte, de tels champs de repos seraient matérialistes pour une vaste société, et voici comment. Le christianisme ne présente au fond cette image de la mort que comme exhortation à vivre conformément à ses doctrines ; au chrétien véritable, il apprend à n’en pas avoir peur. Pour le vrai chrétien, la mort, loin d’avoir rien de redoutable, est le suprême bonheur ; c’est la fin du pèlerinage à travers un monde de larmes et de fatigues, c’est l’entrée dans le repos et la lumière. Quant au jugement, quelle crainte peut-il inspirer à celui qui a vécu selon les prescriptions du juge ? Mais dans nos vastes sociétés, si compliquées, si mêlées de passions et d’intérêts, où est le chrétien, c’est-à-dire l’homme dont le christianisme soit la vie tout entière ? Nous sommes chrétiens à moitié, au tiers, au quart, pour un dixième de notre être ; mais chrétiens d’un bout de nos âmes à l’autre, non ! Dès lors nous perdons tout droit à cette confiance sereine que connaît le parfait chrétien, et l’image de la mort nous alarme avec justice. Dans les petites sectes au contraire, il n’en est pas ainsi, car par cela même que le sectaire s’est séparé de la société générale, où il a trouvé trop de mélange, sa vie s’est mise d’accord avec sa doctrine et possède une unité que nos existences.hybrides ne connaissent jamais. Les mêmes idées qui dans le vaste monde étaient des freins pour la conscience et des lois de contrainte deviennent des agens de liberté et des lois d’amour. Voilà l’explication de l’aspect riant des cimetières moraves ; une confiance absolue et qui n’avait même pas besoin de l’aimable secours de l’espérance, tant la certitude était complète, leur donna naissance à l’origine. Pour l’individu dont l’existence est strictement chrétienne, l’idée de la mort se dépouille donc de toutes ses terreurs ; mais cette sécurité exige des conditions qui ne sont jamais celles des vastes sociétés.


V. — La Gueldre. — Des pays mixtes. — Au tombeau de Charles le Téméraire.

Les Hollandais ont pour le paysage de leur province de Gueldre un engouement tout particulier que l’étranger ne peut ressentir au